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de ses convictions et à la lutte contre ses adversaires. C’est en quoi il s’oppose encore bien nettement à Charles Bradlaugh, et c’est pourquoi il fut toujours critiqué et honni par les violens de son parti. Si passionné qu’il fût, cet agitateur n’apporte à l’agitation que des moyens modérés, des armes loyales. Ce n’est pas chez lui affaire de timidité ni de crainte, — on l’a vu afficher à sa vitrine de Fleet street des pamphlets écrits contre lui, — c’est gravité et équilibre de caractère, avec cette conviction que la violence nuit plus qu’elle ne sert. Il n’a pas d’amertume dans l’âme. « Je n’ai jamais ressenti de colère ni de haine contre un être vivant, » écrit-il vers la fin de sa vie. Anticlérical, il entretient de cordiales relations avec nombre de clergymen, avec Stopford Brooke, avec Kingsley, avec le Dr Parker ; il va au temple écouter les prédicateurs célèbres. « J’avais, écrit-il dans la lettre précitée à Gladstone, pour voisine à Harrow une vieille femme qu’un missionnaire avait incitée à lire la Bible. Elle n’avait pas de quoi s’acheter des lunettes. Je lui en ai payé une paire. Je suis pour que chacun soit fidèle à sa foi. »

Même mitigé, l’athéisme affiché de Holyoake ne pouvait manquer, dans un pays comme l’Angleterre, de le faire mettre hors de la société, de le faire honnir par la bourgeoisie « respectable, » et par contre-coup de le rejeter vers les élémens les plus avancés du pays. Ses conférences en province sont constamment troublées ; on lui refuse les salles, on lui refuse parfois une chambre à l’hôtel. Reçu en ami par Francis Newman, le frère du cardinal, il est invité à dissimuler aux yeux du portier sa vraie personnalité. La Quarterly Review cite des ouvrages de lui sans oser imprimer son nom. Il faut dire qu’il est naturellement porté, en politique, vers les idées extrêmes. Il aime l’agitation, par tempérament. Un fils lui étant né, il lui donne, entre mille, le prénom de « Robespierre. » Il affecte de se dire, — en théorie, — républicain. Polémiste, journaliste, il prend d’instinct les points de vue extrémistes et s’attache aux causes les plus impopulaires. Passionné de journalisme, il écrit partout et sur tout, — « vous feriez un article sur votre grand’mère, » lui disait en plaisantant un de ses amis, — il fait du reportage, en amateur, jusque sur les pendaisons sensationnelles et les matches de boxe, écrivant parfois dans la rue, sur le dos d’un voisin au milieu de la foule, et attaquant toujours, comme à plaisir, tout ce que les Anglais considèrent comme « respectable. » Il joue son rôle dans