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avait abattu la grande croix qui surmontait Saint-Pierre : on en conclut qu’aux yeux de Dieu « c’était honte que telle croix, marque et enseigne de la diablerie papale, fût là laissée, » et le Conseil décida que toutes les croix qui se trouvaient encore sur les églises devaient être enlevées. Dans cette cité du Dieu justicier, les signes séculaires du pardon divin disparurent. L’esprit de l’Ancien Testament planait désormais, sans rival. Nombreux étaient les enfans qui recevaient, au baptême, des prénoms empruntés à l’ancienne histoire d’Israël et qui semblaient prédestinés, ainsi, à se comporter en héros du nouveau peuple élu. Les petits Genevois de ce temps étaient des Abraham, des Isaac, des Moïse, des Isaïe, des Jonathas. Et ce peuple, peu à peu, s’habitua à se considérer comme un autre peuple d’Israël, suscité par Dieu dans une Europe encore à demi papiste pour arborer le pur Evangile et pour le garder. Il se formait, dans le psautier de Marot, aux attitudes défensives du peuple juif. Il avait hérité des effrois d’Israël et des élans de confiance d’Israël ; il savait, d’une foi sûre, qu’il serait, comme Israël, le peuple toujours menacé, mais toujours préservé, tant qu’il demeurerait digne d’être l’élu. Il trouvait ainsi, dans le livre que lui commentait Calvin, l’annonce même de ses destinées politiques ; il y trouvait, tout en même temps, les instructions personnelles de Dieu, qui le mettaient en mesure d’affronter ces destinées. Il lisait, dans le Vieux Testament, son histoire et ses devoirs. Mais le peuple de Moïse avait offert les caractères historiques d’une nationalité, sévèrement exclusive, jalousement barricadée ; le peuple de Calvin, lui, se présentait comme une sorte de création métaphysique ; appauvri d’élémens indigènes, grossi d’apports étrangers, il avait, en son essence, quelque chose d’international, et sans cesse devait ouvrir ses portes, sans cesse élargir ses rangs, pour accueillir des « élus » venus d’ailleurs.


VI

De plus en plus généreusement, de plus en plus hâtivement, Calvin faisait de ces « élus » des « bourgeois » de Genève., On constata, en février 1557, que, depuis deux ans, Genève avait reçu deux cent quatre-vingt-six nouveaux bourgeois. Ces nouveaux venus étaient les purs, qui devaient avec Calvin et