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prédestination, déclara-t-il, fait de Dieu l’auteur du péché. Et Trollier, — c’était le nom de ce moine, — se référait à Mélanchton. Le plan se poursuivait : on voulait, en Calvin, discréditer le docteur, faire savoir à Genève qu’il existait, pour la parole de Dieu, d’autres interprétations que la sienne. : Calvin se plaignit ; le Petit Conseil déclara, sur sa demande, que l’Institution chrétienne renfermait la saine doctrine, et défendit qu’on osât parler contre ce livre, contre cette doctrine ; mais tout en même temps, le Petit Conseil qualifiait Trollier d’homme de bien, de bon citoyen. On avait banni Bolsec ; peu s’en fallait qu’après les prohibitions réclamées par Calvin, on ne couronnât Trollier de quelques fleurs, sans le bannir.

Ces symptômes étaient graves. L’année 1553 s’annonça comme fatale pour Calvin. Les partisans des libertins devinrent majorité dans les Conseils. Les pasteurs furent privés du droit de vote dans le Conseil général ; les Français furent visés par une ordonnance qui défendit à quiconque n’était pas bourgeois de conserver d’autres armes qu’une épée, et de porter cette épée dans les rues. Ainsi désarmait-on, d’avance, la garde du corps de Calvin.

En cet instant même où la puissance du Réformateur paraissait à jamais ébranlée, l’honneur de Dieu courut un grand péril, et Calvin, par la façon dont il vengea Dieu, reconquit pour lui-même l’obéissance craintive des hommes. Un médecin de l’Aragon, Servet, niait depuis vingt-deux ans la Trinité ; Calvin, qui plusieurs fois avait répondu à ses lettres et tenté de détruire ses erreurs, était bien décidé, dès 1547, à ne pas le laisser sortir vivant de Genève, s’il s’y montrait. Et voici que survint à Genève, tout au début de 1553, le livre de la Restitution du Christianisme, manifeste de la pensée de Servet, et puis en avril, s’étant évadé de la prison de Vienne en Dauphiné où Calvin, d’ailleurs, avait contribué à le faire enfermer, Servet lui-même est vu dans Genève, et tout de suite arrêté. Il n’en devait pas, il n’en pouvait pas sortir vivant. Deux interprètes de la parole de Dieu s’affrontaient, et Servet, tout comme Calvin, estimait que « la cause ne pouvait être définie que par la mort ou tout au moins par le bannissement de l’un des deux. » Calvin faisait de Jésus le fils éternel de Dieu ; Servet le fils de Dieu éternel. La formule de Calvin garantissait la divinité du Christ en impliquant la préexistence du Verbe ; la