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Consistoire, continuait de danser, allait en prison. « Quand on a trop enduré, on se venge, » lisait-on trois jours après, sur un placard affiché près de Saint-Pierre.Calvin fit chercher l’auteur parmi les amis des Favre ; l’un d’eux, Jacques Gruet, avait, le matin même, partagé le repas de François Favre ; on l’arrêta. Gruet, en effet, était l’afficheur ; Gruet avoua. Des perquisitions furent faites chez lui. Un bout de papier contenant ces mots : « Toutes les ordonnances tant divines qu’humaines ont été faites suivant le caprice des hommes, » un exemplaire d’un livre de Calvin sur lequel il avait écrit : « Toutes folies, » quelques autres brouillons encore, devinrent l’occasion d’un procès capital. Quatre lignes d’écriture suffirent pour faire décapiter Gruet. Des brouillons, ces demi-confidences qu’un homme se fait à lui-même des premiers bégaiemens de sa pensée, entraînaient la mort ; et trois ans plus tard, un manuscrit de Gruet, retrouvé par hasard dans une cachette, était, en grande pompe, brûlé publiquement, « afin que la vengeance de Dieu ne demeurât point sur Genève pour avoir enduré ou dissimulé une impiété si horrible. »

Mais les adversaires de Calvin ne désarmaient point. On répandait le bruit qu’il voulait rendre le peuple pauvre, pour le rendre obéissant, et qu’il considérait l’institution même du Conseil général comme un abus qu’il fallait abolir. La discipline ecclésiastique instituée par les ordonnances était battue en brèche par Philibert Berthelier : fils d’un patriote genevois qui, trente ans plus tôt, avait payé de sa vie ses campagnes pour les libertés politiques de Genève, Berthelier chicana le Consistoire sur son droit d’excommunication. Et puis le dogme même de Calvin, chose plus grave, fut interpellé, d’une voix rude, en une langue savante, par un ancien carme, Jérôme Bolsec : il s’en prit à la prédestination, clef de voûte du système ! Le point d’attaque était fort bien choisi. On savait que les Réformés de Bâle, que les Réformés de Zurich, n’avaient pas sur ce problème des idées aussi rigoureuses que Calvin. Si Bolsec pouvait rallier les Genevois à la théologie de Zurich ou de Bâle, l’autorité dogmatique de Calvin recevrait un coup terrible ; et pour légiférer sur l’honneur de Dieu, Calvin serait disqualifia. Calvin prévint le coup ; il obtint que Bolsec fût banni. Mais en variant un peu l’attaque, un autre moine, évadé de l’Église romaine, prit la parole. Le dogme de la