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de demander à Dieu sa bénédiction, serait privé du manger et du boire ; où les jurons, les conversations indécentes, seraient notés et dénoncés. La tentative d’ailleurs dura peu, comme s’il était dit qu’en tout temps, même à Genève, le dernier mot dût rester à l’industrie cabaretière.

Il y eut du moins, sous ce régime de terreur, une série de condamnations que personne à Genève ne discuta : pour celles-là, l’opinion tout entière applaudit Calvin, et il eût été surpris du contraire. Lorsque la peste sévissait, Calvin croyait, comme tout le peuple, qu’elle était le résultat d’une conspiration, de certains maléfices ; et les gens soupçonnés d’être des boute-peste étaient privés, non seulement de la Cène, mais de la vie.

Dans les seules années 1542 à 1546, on compta, dans cette très petite ville qu’était alors Genève, 57 condamnations à mort., Le 2 mars 1546, le directeur de la prison vint dire aux Conseillers qu’il ne savait plus comment loger et nourrir les captifs., Cette prison si remplie n’était autre que l’ancien évêché : c’est là, jadis, qu’Adhémar Fabri avait proclamé les libertés de Genève ; aujourd’hui, les Genevois s’y entassaient, pour être châtiés et domptés. Une méthode s’inaugurait ainsi, pour éloigner de la cité où Dieu devait régner le scandale dont Dieu s’irrite, le scandale dont la cité pâtit. Dans les codes, le mot mort revenait sans cesse ; et certaines imaginations ingénieusement féroces trouvèrent même de nouveaux procédés de torture, comme si tout artifice était bon, si cruel fût-il, pour démasquer les artifices de Satan.

Il y eut, dans ces mêmes années 1542 à 1546, 76 décrets de bannissement. Aux portes de Genève durent souvent se croiser, d’une part, s’en allant en terre savoyarde ou bien en terre suisse, des catholiques attachés au droit qu’avaient leurs consciences de ne se point soumettre au calvinisme, et d’autre part, entrant à Genève, des réfugiés de France ou d’Italie, qui, chassés de leur patrie, s’en venaient demander à la ville de Calvin le droit de vivre en protestans. C’étaient comme deux cortèges de consciences fugitives, qui toutes avaient perdu leur patrie, et le plus souvent, avec leur patrie, leurs biens : consciences déracinées, libérées de toute attache à la terre, par leur façon personnelle de concevoir le chemin du ciel. Mais les unes, celles qui déménageaient de Genève, allaient se disséminer dans les terres catholiques, voisines ou lointaines, sans grand espoir d’y reconquérir une situation matérielle