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fois confirmé par le Conseil, devait être reçu par le consentement commun des fidèles, le droit de veto, dont cet article des ordonnances paraissait investir le peuple, ne semble guère, en fait, s’être exercé.

Genève devint, lentement, un Etat aristocratique, et James Fazy, commentant ces changemens, a pu dire que « ce furent les restrictions religieuses qui amenèrent à Genève les restrictions politiques. » On a beaucoup discuté cette thèse, et probablement elle est trop absolue. Durant l’exil même de Calvin, le régime aristocratique avait fait des progrès ; ces progrès se poursuivirent après son retour. Il n’en fut pas l’ouvrier responsable, mais il ne fit rien pour les enrayer, ni même pour les contre-balancer. Il est permis de croire qu’aux yeux de l’observateur pratique qu’était Calvin, les Genevois de 1541 n’étaient pas mûrs pour être, dans une Eglise, des membres libres et souverains. Dès lors, dans l’établissement religieux il fallait limiter leur liberté, et plus encore leur souveraineté. Simultanément, était-ce conséquence ou coïncidence ? leurs franchises civiques périclitèrent. Cet esprit de défiance que suscitaient un certain nombre de citoyens, papistes mal résipiscens ou libertins mal pensans, et qui forçait l’Eglise de les tenir en bride et l’Etat de leur faire sentir le mors, devait avoir une répercussion sur le terrain de la vie politique. Au demeurant, puisque, à cette époque même, dans les dialogues sacrés qu’écrivait à leur intention Sébastien Castellion, les écoliers du collège lisaient que les hommes de bien, les partisans de la vérité, les enfans de Dieu, les justes, sont une minorité, n’était-il pas normal qu’au point de vue politique le rôle de la majorité, le rôle des injustes, des « enfans de ténèbres, » fût dès lors étroitement limité ?

Contre ces enfans de ténèbres, le Consistoire, tout de suite, se mit en besogne. La foi et les mœurs, l’honneur de Dieu, l’honneur des citoyens, furent chaque semaine scrupuleusement vengés. On comparaissait devant lui pour gamineries et pour débauches, pour adultère et pour bal de jeunes gens, pour blasphèmes et pour un festin trop copieux, pour absence aux prêches et pour superstition papiste. Ce tribunal employait, à la ville et dans les campagnes, ses délateurs, chargés de prendre note du péché.

Il fallait peu de chose pour être inculpé de papisme. Un