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de côté ; ce sont des êtres qui, à propos de tout, s’agenouillent, se soumettent, ce sont des âmes d’esclaves.

Mais ce Dieu a un honneur, honneur exigeant, pointilleux : toutes les formules des Psaumes proclament sa susceptibilité. Et les yeux fixés sur les exigences de cet honneur, le Genevois formé par Calvin sortira, délibérément, de la quiétude passive où, sous l’oppression du dogme de la prédestination, il se serait logiquement enlizé. « Calvin dit, écrira plus tard Voltaire, que Dieu fait tout, et l’honnête homme rien. » Oui, certes, Calvin dit à peu près cela ; mais il ajoute, par ailleurs, que, l’honnête homme doit faire quelque chose, et même beaucoup : « Nous devons avoir un tel zèle à l’honneur de Dieu que quand il est blessé, nous sentions une angoisse qui nous brûle le cœur ; » et Calvin dit encore que les chrétiens doivent faire des œuvres, non certes pour acquérir des mérites, — il ne reconnaît pas à nos âmes ce degré de grandeur, que l’Église romaine se refusa toujours à leur dénier, — mais pour trouver, dans le fait même des œuvres, l’indice qu’ils ont la foi et, dès lors, la preuve de leur salut. D’indolens Genevois murmuraient sans doute aux oreilles de Calvin : « Si nous sommes élus, il s’ensuit que nous pouvons bien faire mal, car nous ne pouvons périr. » Et Calvin se préparait à leur riposter : « Pourceaux que vous êtes, vous ne sauriez donner un plus grand témoignage de réprobation que celui-là. » Ce n’était plus de la confiance en Dieu que résultait la force d’impulsion nécessaire pour bien faire ; mais les termes du problème étaient transposés, et comme retournés ; et le Genevois devait, en faisant le bien, se donner à lui-même le témoignage de son élection, se suggérer une raison d’avoir confiance dans les vues de Dieu sur sa destinée. Le Genevois devait accomplir des œuvres, non pour être sauvé, mais pour croire à son salut.

Etait-ce abîme d’humilité, ou bien abîme d’orgueil ? Le bon calviniste devait affirmer que ses œuvres ne valaient rien, ses pauvres œuvres d’homme misérable, qui aurait pu « tout aussi bien être un âne ou un chien ; » et c’était là, si l’on veut, un abîme d’humilité ; mais la conviction qu’il acquérait d’être un prédestiné, par cela même qu’il faisait des œuvres, valait bien quelque chose ; elle l’exaltait, finalement, plus qu’il ne s’était humilié ; et elle assurait à la superbe humaine, tout à l’heure bafouée, une revanche subtile et qui paraissait divine.