lettre survenait dans une ville où beaucoup de ceux qui avaient, sur l’ordre de Calvin, juré naguère la confession de foi, étaient venus déchirer leur signature, où l’on surprenait le bourreau disant un Ave Maria, cette prière délinquante, pour un criminel- qu’il venait d’expédier à Dieu, et où, çà et là, des prêtres surgissaient, préconisant de nouveau la « mode papistique. » Que les pasteurs actuels fissent réponse à Sadolet, Genève ne pouvait l’espérer : pour se mesurer avec cet humaniste, leur théologie était encore trop courte. Froment, qui jadis, sous couleur d’enseigner à lire, avait, sur le Molard, semé la graine du « pur Evangile, » était, lui aussi, au témoignage de Farel, « dégénéré en ivraie. » Mais, puisque Messieurs de Berne avaient contribué à faire de Messieurs de Genève des Réformés, on fit suivre à Berne la lettre de Sadolet, et les Bernois chargèrent Calvin d’y répondre. Lui, le banni, lui, contre qui se concentrait depuis un an toute la politique religieuse de la cité, il était chargé d’expliquer au cardinal pourquoi les Genevois ne voulaient plus de la Messe.
Ils voulaient donc des prêches, c’était chose décidée, mais ils en avaient de moins en moins, car, au cours de 1540, deux de leurs pasteurs s’en allèrent. Il en restait deux encore ; c’était peu. Et comme les caprices de la politique et de la force avaient réinstallé au pouvoir les amis de Calvin, les regards de Genève se retournèrent vers lui. Il était tout près de répondre : C’est trop tard. On l’avait fait partir, il se complaisait dans son active retraite de Strasbourg, où, libre de tout souci administratif, il menait une vie de théologien. Retourner à Genève, cela lui faisait l’effet d’une croix ; il préférait à cela « cent autres morts. » Genève, pour lui, c’était une « chambre de tortures ; » plutôt que d’aller là, il préférait « passer de l’autre côté de la mer. » Il avait son opinion sur le peuple de Genève, et cette opinion ne changera jamais ; il le trouvera toujours un peuple « raide, » un peuple « ayant des vices plein la tête et plein le cœur. »
Mais ces gens qu’il jugeait si mal étaient guettés par les papistes ; et, si les hommes, à l’entendre, ne valaient rien, la situation de leur ville avait du prix.« Genève, lui écrivaient les pasteurs de Zurich, est sur les confins de la France, de l’Italie, de la Germanie, de telle sorte que l’espérance est grande de voir l’Evangile se répandre de là dans les villes voisines, et d’élargir les boulevards du royaume du Christ. » Il était fatal que