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crue propre à désarmer l’intolérance, se demandaient s’ils pouvaient, eux des pécheurs, jurer devant Dieu d’observer la loi de Dieu, cette loi qu’inévitablement ils violeraient. Mais Calvin, pour l’instant, ne s’occupait pas de la vie intérieure des âmes, de cette vie délicate qui parfois s’abandonne au noble frémissement du scrupule, et qui s’en honore ; il avisait à les embrigader, à les gouverner. Fondateur d’une confession qui se proposait comme la religion de l’Esprit, il commençait par créer des cadres ; et ceux qui mettaient à la porte l’importun dizenier avec son importune confession de foi étaient convoqués à deux reprises à monter à Saint-Pierre pour prêter enfin, sans retard, le serment requis. Certains s’y rendirent et jurèrent. D’autres persistèrent à s’abstenir. Alors le Conseil ordinaire, réitérant une menace qu’il avait déjà prodiguée, déclara que ces non-jureurs devaient vider la ville. Il fallait que leurs consciences entrassent délibérément dans l’Eglise telle que Calvin l’avait définie, ou qu’ils partissent.

Mais parallèlement à cette exigence, Calvin en affichait une autre. Il proclamait pour son Église le droit d’écarter les fidèles de la Cène et pour l’État le devoir de faire justice, par l’exil aussi, de ceux qui accepteraient, ainsi excommuniés, de « vivre et mourir en pareille réjection. » Dehors, donc, ceux qui n’entreraient pas pleinement dans l’Eglise ; mais dehors, aussi, ceux que l’Église jugerait à propos de séparer d’elle ! Zurich, Claris, Saint-Gall, n’avaient pas accordé à leurs prédicans le droit de dicter ainsi, d’avance, les décisions disciplinaires et pénales de l’État ; Genève le savait, et Genève se cabra. A la suite de certains votes significatifs, les magistrats décidèrent, en janvier 1538, que les pasteurs n’auraient pas le droit de refuser la Cène. Un conflit éclata : en février, d’autres magistrats plus franchement hostiles à Calvin furent élus ; et le peuple, en mars, décréta que dorénavant on suivrait, dans l’Eglise, les ordonnances de Messieurs de Berne. Se référer à Messieurs de Berne, et, si loin qu’ils fussent, les objecter à Calvin et à Farel, c’était pour les Genevois une façon de respirer. « Il n’y aura pas de Cène à Pâques, » ripostèrent Farel et Calvin. On leur avait refusé le droit d’exclure de la Cène quelques citoyens ; ils faisaient mine d’excommunier la cité. Un de leurs collègues, ancien moine, insultait du haut de la chaire les Genevois, ces « ivrognes, » qui considéraient le royaume des Cieux comme