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protestantisme que parce qu’auparavant leur évêque leur avait politiquement déplu.

C’était là l’état d’esprit de la masse ; et l’idée proprement religieuse n’y jouait encore qu’un rôle subordonné. Mais il y avait à Genève, comme dans toutes les villes où la Réforme s’implanta, quelques âmes mystiques, qui trouvaient dans l’Évangile chaleur et douceur, et qui, portées par une reconnaissante allégresse, faisaient volontiers bénéficier du prestige même de l’Évangile les prédicateurs nouveaux : tels, par exemple, l’apothicaire Levet, sa femme Claude, sa belle-sœur Paule, ou bien encore le magistrat Ami Porral. Ces consciences-là, qu’avait séduites le principe religieux de la Réforme, rêvaient de faire au plus tôt, sous les auspices de la foi nouvelle, œuvre constructrice. D’autres, à côté d’elles, cédaient au seul plaisir de détruire, individualités fort émancipées, parfois turbulentes, et qui, aussi peu soucieuses de la foi que des œuvres, saisissaient avidement l’occasion de maltraiter le clergé et d’en finir avec les rites établis. Pour applaudir Froment au Molard, pour porter Farel jusque dans Saint-Pierre, s’étaient coalisés l’élan de certaines âmes pieuses, qui se persuadaient que l’Évangile de Farel leur rendait Dieu, et les passions plus vulgaires, plus brutales, qui n’aspiraient qu’à s’affranchir de tout joug spirituel. Mais si ces deux minorités, ceux qui se sentaient gênés par le Dieu de leur enfance, et ceux qu’attiraient des façons nouvelles de parler de lui, avaient ainsi, en certaines minutes, marché la main dans la main, les premiers, assurément, s’inquiétaient peu de faire de Genève une ville protestante, et les seconds, tout bien compté, étaient encore disséminés.

Farel’, homme pratique, sentit qu’il fallait tout d’abord donner à cette mosaïque de consciences une apparence d’unité. Protestans enthousiastes et catholiques abasourdis, indifférens qui laissaient détruire l’ancienne Église, révolutionnaires qui se souciaient peu d’en édifier une autre, furent, le 21 mai 1536, convoqués en un Conseil général du peuple, et l’on y proclama que les cérémonies papistes étaient contraires à l’Écriture. Ce plébiscite était moins un credo qu’une négation. On décidait de « vivre selon l’Évangile : » c’était encore une formule vague. Mais il suffisait de l’entrainement d’un tel vote pour que les timides se sentissent soutenus et les réfractaires intimidés.