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puis ainsi dire, la sensation toute fraîche de son autonomie, en se créant une monnaie. Le Conseil des Deux-Cents, à la date du 24 novembre 1535, constatait : « Celui qui en dernier lieu se disait notre prince, Pierre de la Baume, s’est joint perfidement au duc de Savoie, l’antique ennemi de notre ville, et nos ennemis conjurés ne recherchent que la destruction de cette cité. » La conclusion, c’était qu’on ne demanderait pas à l’évêque permission pour battre enfin monnaie : les pièces savoyardes fabriquées à la porte même de Genève, à l’atelier monétaire de Cornavin, étaient frappées de disgrâce. Il fallait qu’à Genève tout fût neuf, les murs, les sous, et la foi. Une vieille devise : Post tenebras lux, se trouvait sur de très anciennes pièces ; au cours des temps, une autre formule : Post tenebras spero lucem, s’y était substituée. Certains membres des conseils considérèrent que l’heure n’était plus où la lumière ne se faisait encore qu’espérer, et que désormais la lumière avait lui ; et Genève, traitant tout son passé comme un passé de ténèbres, illumina ses façades et ses monnaies, son présent et son avenir, de ces trois mots étincelans : Post tenebras lux, que, par une émouvante ironie, ce passé même lui fournissait.


II

Genève, plusieurs années durant, avait affecté vis-à-vis de ses voisins, vis-à-vis de son évêque, l’attitude d’une ville protestataire ; elle devenait, peu à peu, une ville protestante. Son peuple, cependant, beaucoup plus porté vers l’action que vers la spéculation, n’était pas, destiné à devenir un peuple de théologiens. Il y avait eu à Genève, au VIe siècle, quelques troupes tardives de l’Arianisme, que les documens du temps appelaient la « faction genevoise ; » mais vouloir induire, de ces lointains incidens, que l’acre bise de Genève propagea de tout temps je ne sais quelle semence d’hérésie, serait une imagination gratuite. Ce fut par une succession de circonstances politiques, beaucoup plus que par l’effet d’une impulsion religieuse, que les consciences genevoises marchèrent à la rencontre de l’Evangile de Calvin. La plupart d’entre elles, en cette décisive année 1535, ne crurent même pas, en réalité, opter entre deux Églises ; elles se crurent acculées à opter entre leur Église et leur cité ; elles préférèrent leur cité, et ne cherchèrent les attraits du