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contre Farel ; ils passèrent outre à leur crainte de paraître ignorans, à l’effroi qu’on avait autour d’eux pour leur sécurité, à l’affaissement que devait leur causer l’absence de l’évêque. On est mal renseigné sur ce qu’ils dirent ; il semble que, durant les quatre premiers jours, ils remportèrent des avantages, et que, dans la suite, ils s’effacèrent. Farel, à la fin de juin, venait faire aux magistrats son rapport sur la dispute, en vainqueur. Ceux-ci temporisaient encore. Alors, le 22 juillet, les Réformés, bousculant la messe, envahirent la Madeleine ; le 8 août, bousculant les vêpres, ils envahirent Saint-Pierre ; dans les deux églises, ils installèrent Farel en chaire. Puis, des bandes populaires, survenant dans la vieille cathédrale, la purifièrent à leur façon de tout ce qu’y avaient accumulé, pour la gloire du Christ, joailliers, peintres et sculpteurs. Sur les ruines de la beauté, Farel, poursuivant ses prêches, proclama qu’il apportait la vérité ; un terme était mis, pour de longues années, à l’existence du catholicisme et de l’art religieux dans la ville de Genève[1].

Quarante-huit heures après, les magistrats édictaient : Trêve aux pillages, mais trêve à la messe, aussi, jusqu’à nouvel ordre : nous en référons à Messieurs de Berne. Ils obéissaient, provisoirement, aux conquérans de Saint-Pierre, et se proposaient d’obéir, définitivement, à Messieurs de Berne : ils savaient que ces deux catégories de maîtres seraient d’accord. Les religieux, les prêtres, furent convoqués, invités à serrer leurs calices, à déserter leurs tables d’autel. L’entrevue fut douloureuse. Les prêtres se plaignaient ; les magistrats avaient l’air de s’excuser. « Nous nous désolons que cela n’ait pas tourné autrement, » et puis ils les accusaient : « Pourquoi n’êtes-vous pas venus à la dispute ? — Nous sommes des simples, nous vivons comme nous l’ont enseigné nos pères, » murmuraient ces lèvres sacerdotales. Un moment, quelques magistrats s’apitoyèrent : Ne pouvait-on, encore, tolérer la messe ? — Mais non, répondirent tous les autres. Il vaut mieux attendre la volonté de Messieurs de Berne, « qui comprennent la chose plus sainement, qui sanius rem intelligunt. » On n’avait échangé l’obédience spirituelle de l’évêque que pour celle de Messieurs de Berne. Ne me brouillez pas avec Berne, c’est à quoi se réduisait l’humble politique de

  1. On pourrait même dire : à l’existence de l’art, tout court ; et le livre du syndic Rigaud : Renseignemens sur les beaux-arts à Genève, est à cet égard très instructif.