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hospices, les officiers et les nobles indigens, elle délivre les prisonniers pour dettes, envoie des provisions aux couvens dénués et aux familles chargées d’enfans dont elle fait rechercher les besoins secrets.

Puis, après une courte visite au Roi, viennent quelques délassemens, la peinture entre autres : la fille de Stanislas n’est guère douée, les tableaux qu’on a d’elle à Trianon et au Carmel de Sens, fièrement signés Marie Reine de France, ont été retouchés par quelque artiste complaisant, son « teinturier, » Oudry le plus souvent. Encore, elle aime la musique, touche de la guitare, du clavecin, de la vielle, commet des fausses notes, et en rit la première. À midi et demi sonne l’heure de la toilette, suivie de la messe quotidienne et du dîner auquel assistent une douzaine de dames de service. Le dîner fini, la princesse passe dans ses appartemens privés ; ce n’est plus la Reine, alors, mais « une particulière, » elle brode et, tout en travaillant, raconte ses lectures, qu’elle n’a pas toujours bien comprises, assurent les méchantes langues. Vers six heures, la Cour se rassemble chez elle, pas très nombreuse, ensuite, on se rend jouer à l’éternel cavagnole chez la duchesse de Luynes où Marie Leczinska passe ses soirées et soupe.

Son intimité est ici singulièrement étroite. C’est le sanctuaire de la causerie, où la femme vient goûter son plus doux plaisir : la libre conversation dans un cercle aimable et spirituel, toute étiquette bannie. Elle y devise à cœur ouvert avec ses « honnêtes gens, de duc de Luynes, le cardinal et sa fidèle dame d’honneur, devenue l’indispensable amie, généreuse, dévouée, de jugement droit et de cœur simple.

Un petit cénacle de gens d’esprit et de brillans causeurs fait l’agrément de ces réunions. Toujours, ce sont les mêmes fidèles : le président Hénault, « le plus grave des hommes frivoles, » suivant sa malicieuse amie Mme du Deffand ; le type accompli du magistrat mondain et lettré, érudit, réservé, serviable, courtois, impétueux, bref, « l’homme du monde qui sait le plus dans tous les genres, au moins dans les genres agréables et utiles à la société ; » Maurepas, bavard, indiscret, politique expert aux roueries du métier, mettant sa verve caustique au service de l’énorme médisance du temps, dont il vient colporter les échos ; Tressan, fort apprécié de Stanislas, à Lunéville, et non moins recherché à Versailles, pimpant officier aux gardes