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frileusement autour de ses épaules un petit mantelet en soie violette Elle était l’image même du désespoir[1]. » Dès qu’on fut assis, Buffet exposa la combinaison qui paraissait avoir obtenu l’adhésion de presque toutes les fractions de la Chambre. Il s’efforça de démontrer qu’elle avait l’avantage, en réservant la décision ultérieure du pays, de conserver à l’assemblée l’autorité morale nécessaire pour maintenir l’ordre et organiser la défense. Si le Corps législatif exerçait, sans y être invité, le pouvoir exécutif qui ne lui appartenait pas et instituait spontanément une Commission de gouvernement, il perdrait, ainsi que cette commission, toute force morale et tout crédit ; on ne cesserait de leur rappeler qu’ils ne pouvaient exiger la soumission à un pouvoir usurpé.

L’Impératrice écouta avec beaucoup de dignité ces observations et répondit : « Ce que vous me proposez, messieurs, réserve, dites-vous, l’avenir, mais à la condition que j’abandonne, dans le présent et à l’heure du plus grand péril, le poste qui m’a été confié ; je ne le puis, je ne dois pas y consentir. L’avenir est ce qui me préoccupe le moins, non pas assurément l’avenir de la France, mais l’avenir de notre dynastie. Croyez-moi, messieurs, les épreuves que je viens de subir ont été tellement douloureuses, tellement horribles, que, dans ce moment, la pensée de conserver cette couronne à l’Empereur et à son fils me touche très peu. Mon unique souci, ma seule ambition est de remplir dans toute leur étendue les devoirs qui me sont imposés. Je suis convaincue que la seule conduite sensée, patriotique pour les représentans du pays serait de se serrer autour de moi, autour de mon gouvernement, de laisser de côté, quant à présent, toutes les questions intérieures et d’unir bravement nos efforts pour repousser l’invasion. Je suis prête à affronter tous les dangers et à suivre le Corps législatif partout où il voudra organiser la résistance. Si cette résistance était reconnue impossible, je crois que ce serait encore utile pour obtenir des conditions de paix moins défavorables. Hier, le représentant d’une grande puissance m’a offert de proposer une médiation aux États neutres sur deux bases : intégrité du territoire de la France et maintien de la dynastie impériale. J’ai répondu que j’étais disposée à accepter une médiation sur le premier point, mais je l’ai énergiquement repoussée sur le second. Le

  1. M. Carette.