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« Sa famille, constate d’Alembert[1], le fit élever avec soin, dans l’espérance de lui voir prendre un de ces états où la fortune est la récompense du travail. Le jeune Moncrif déconcerta ses vues par des inclinations toutes contraires ; il préféra aux études sérieuses les talens agréables : la poésie, la danse et la musique. Il cultiva jusqu’à l’escrime, dans laquelle il se rendit même très profond et presque célèbre ; mais, en fréquentant les salles d’armes, il eut le mérite très rare à son âge de n’en prendre ni le ton, ni les mœurs. »

L’amant malheureux de Julie de Lespinasse n’entendait rien à la psychologie féminine : son jugement sur l’éducation donnée à Moncrif nous en fournit une preuve nouvelle.

D’Argenson, on l’a vu, rend hommage à sa culture d’esprit ; il est donc à croire que, loin de heurter les desseins maternels, il subit au contraire les directions d’une lucide volonté. Ce programme, où les arts d’agrément tiennent une si grande place, répond à merveille à l’idéal de cette femme avisée, qui voulut rendre son fils un « homme de compagnie » séduisant et recherché du monde, pour lui procurer de la sorte un « état agréable. »

Moncrif, il est vrai, poussa, très avant la science du contre de quarte et même jusqu’au point d’obtenir son brevet de maître en fait d’armes. Mais l’escrime, pour lui, fut surtout un moyen bien plus encore qu’une prédilection. Tout en plastronnant sur la planche, ou bien faisant assaut, il noua de précieuses amitiés qu’il retrouva dans la suite et dont il sut se prévaloir.

Toujours fignolant maints billets doux sur commande, sa mère continuait à préparer son avenir. « Elle volait comme une chouette partout où elle se trouvait, se retranchant le nécessaire pour le faire paraître et lui permettre d’acquérir des amis du bel air. Elle fit les derniers efforts afin de le bien vêtir, et l’envoyait au spectacle dans les places destinées aux honnêtes gens où il pouvait faire d’utiles connaissances[2]. »

Moncrif connut ainsi l’abbé Nadal, lui plut et se lia avec lui.

C’est un fort mince seigneur de lettres que l’abbé Nadal, poète tragique, moraliste et critique. Son nom serait

  1. Éloge de Moncrif dans l’Histoire des Membres de l’Académie française morts depuis 1700 jusqu’à 1771.
  2. Journal du marquis d’Argenson.