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Celle-ci, par bonheur, se trouvait être une maîtresse femme.

Ecossaise des Basses-Terres, née Moncrëiff, d’une famille presbytérienne, ayant fourni à la Cause plusieurs ministres et théologiens, elle n’avait pas hérité, bien au contraire, l’austérité sentencieuse ni la rigide vertu de son lignage.

Jeune encore et jolie, galante « tant qu’elle put, » affirme d’Argenson, elle s’ingénia, sans vergogne inutile, à se débrouiller, faire vivre sa maisonnée. Délibérément, pour commencer, elle supprime son étiquette conjugale, ce Paradis fâcheux, évocateur de pénibles souvenirs, pour ne plus s’appeler que Moncrif en francisant son patronyme d’outre-mer.

Ainsi transformée, insinuante, fine, exempte de vains scrupules, elle renoue d’anciennes relations au Palais. On la voit devenir l’Égérie de maints basochiens, voire d’un conseiller au Parlement, qu’elle faillit épouser. L’âge venant, la fine mouche assurait encore son bien-être par une miraculeuse industrie.

« Avec de l’esprit, de la lecture, un style agréable et du manège, conte encore d’Argenson, dans ses Loisirs d’un Ministre, elle se procurait un assez joli revenu. Sur la fin du règne de Louis XIV, on mettait dans les intrigues plus de prétention à l’esprit qu’on ne fait de nos jours[1]. On écrivait des billets galans qui exigeaient des réponses du même genre et l’on jugeait de l’ardeur du cavalier par l’énergie des lettres qu’il faisait remettre secrètement ; de même, l’amant calculait ses espérances d’après le tour de la réponse ; les brouilles et les raccommodemens se conduisaient de la même manière. »

La digne Mme Moncrif consacra donc ses talens et ses veilles au style épistolaire : « Connue de plusieurs dames de la Cour, elle leur prêtait sa plume pour faire d’agréables avances et de tendres réponses, et ce ne fut pas en pure perte pour sa fortune et l’avancement de ses fils. »

Cette louche intrigante, cette Macette du grand monde se révèle en effet comme une mère admirable.

Elle ne ménage aucune peine, n’épargne nul effort afin de pousser ses enfans. Sans négliger le cadet, « dénué de génie, » qu’elle réussit pourtant à caser dans l’armée, elle reporte sur l’aîné, François-Augustin, intelligent et délié, le fort de sa tendresse et de ses ambitions.

  1. Les Loisirs d’un ministre d’État ont été écrits en 1736.