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ses côtés. Sa complaisance était inépuisable, son humeur douce, égale, enjouée, tempérée d’une prudente circonspection : « Il est, constate malicieusement d’Argenson dans son Journal, d’un commerce très agréable, toujours de votre avis et y ajoutant. Vous ne lui feriez pas dire du mal de la lune, de peur de s’attirer des affaires. »

En outre, le personnage eût fait, comme Destouches, un excellent diplomate pour la promptitude et la sûreté du coup d’œil. Il avait l’art de discerner aussitôt le patron, accessible et généreux, de même qu’en amour, — car il était fort galant et le demeura jusqu’à sa vieillesse, — il tournait les yeux vers les belles susceptibles de servir valablement les besoins ou les intérêts de son ambition.

L’habile homme possédait mille talens divers, à la fois peintre, musicien, chanteur et poète.

Il joue la comédie à ravir, se révèle parfait metteur en scène, à l’instant qu’une véritable fureur de tréteaux sévit dans tous les rangs de la société. Son bagout est intarissable, sa verve irrésistible, sa gaieté communicative. Aussi, le voit-on désiré, fêté, choyé partout : à Bagnolet, chez le Duc d’Orléans, où il enchante Mlle Le Marquis, alors à l’apogée de sa faveur ; à Berny, chez le comte de Clermont, au château de Morville, autre pépinière dramatique, à l’Académie de ces Dames et de ces Messieurs, au premier Caveau du carrefour Bucy, chez le traiteur Landel, où il retrouve d’autres bons drilles de sa sorte, Piron, Crébillon fils, Collé, Laujon, Fuzelier, Saurin, Salle, Gentil-Bernard.

Ce boute-en-train, ce joyeux vivant n’était pas, au surplus, dépourvu de mérites intellectuels ni de qualités de cœur.

Nous verrons qu’il sut écrire des contes délicats, et d’Argenson, qui pourtant le traite de haut, en grand seigneur, dans son Journal, constate « qu’il a l’esprit orné de belles-lettres françaises par la lecture, l’émulation de composer et la fréquentation des auteurs. »

Par ailleurs, quand le frère de l’utopiste, misanthrope et clairvoyant marquis, le comte d’Argenson, disgracié, partit pour l’exil dans sa terre des Ormes, Moncrif, désireux de témoigner à son bienfaiteur une gratitude que la rancune de Mme de Pompadour ne rendait pas sans danger, obtint, après de vives sollicitations, d’aller chaque année passer auprès de lui quelques mois