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numérique, quelle que fût la bravoure de leurs élémens, était lamentable. À cette loi salutaire et qu’on ne saurait toucher sans porter une atteinte nouvelle à la défense nationale, est venu s’ajouter un autre motif de sécurité. La réconciliation du 8 avril 1904 entre la France et l’Angleterre, la crainte légitime de l’hégémonie allemande ont amené la formation de l’entente cordiale qui se manifestait comme, une nécessité. On sait comment la Triple Entente est arrivée à se dresser pacifiquement, résolue en face de la Triple Alliance, et de récens événemens ont montré qu’elle était plus solide que jamais. Si elle n’a pas, au regard de ses adversaires et de critiques impitoyables, toujours donné tout ce dont on la croyait capable, cela tient à ce que, de part et d’autre, les trois pays avaient laissé amoindrir leurs forces ou réduit leurs armemens. Mais ici encore les leçons n’ont pas été sans utilité. L’Angleterre, la Russie, la France ont compris qu’il fallait porter leur puissance d’action au maximum, non pas avec l’intention de faire œuvre agressive, mais en vue d’une défense commune et d’une paix générale. C’est ce que paraissait reconnaître un diplomate qui, sous le voile de l’anonyme, écrivait dernièrement, dans le Berliner Tageblatt, ces lignes très remarquées :

« La scission de l’Europe en deux groupemens ne veut pas dire le moins du monde qu’elle soit divisée en deux camps ennemis. Rien n’est plus contraire à la vérité. Le partage de l’Europe en Triple Entente et en Triple Alliance, qui laisse à chacune des Puissances intéressées une entière liberté d’action, est l’équilibre le plus heureux des forces européennes. Il est aussi, par conséquent, la garantie la plus sûre de la paix que l’Europe ait possédée depuis un temps immémorial.

« Toutes les grandes guerres du passé ont été causées par la prépondérance de l’une ou de l’autre des Puissances continentales. Louis XIV était un fléau pour son propre pays et ses voisins. Les ambitions excessives de Napoléon Ier devaient conduire à une coalition des Puissances. La force grandissante de la Russie a causé la guerre de Crimée.

« Mais, après 1870, l’Allemagne unie a formé un ensemble de forces dont la concentration, jointe au développement financier et économique, devait inspirer des inquiétudes à ses voisins.

« Je reconnais volontiers que l’Allemagne n’a pas abusé jusqu’à présent de sa force, mais qui peut savoir si demain, si