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dont je n’avais pris qu’une connaissance imparfaite pendant le cataclysme de 1870. Je venais de la voir dans sa force et avec ses qualités, non plus abattue par le malheur, mais au contraire pleine d’entrain, désireuse de progrès et impatiente de justifier les espoirs que la patrie met en elle. J’avais recueilli une moisson d’observations concluantes. Tout d’abord, j’avais constaté ce phénomène aussi heureux que singulier. Dans ce pays profondément divisé tel que le nôtre, l’armée est unie. Ces partis, entre lesquels nous sommes habitués à relever de profonds désaccords et qui parfois semblent irréconciliables, lui sont étrangers. Du haut en bas de la hiérarchie, le devoir professionnel fait taire les opinions et les croyances individuelles. L’obéissance et la discipline sont pareilles chez tous. Le loyalisme envers le régime établi ne souffre pas d’exceptions. »

M. de Freycinet dit encore, et qui ne serait de son avis : « On ne recommencera pas, j’en suis convaincu, cette dangereuse expérience qui consiste à classer les officiers d’après les opinions qu’on leur suppose et à s’éclairer sur leur compte par des renseignemens venus du dehors. C’est la plus détestable méthode. L’officier accepte que sa carrière soit retardée, que ses mérites même soient méconnus, pourvu qu’il le doive à ses chefs hiérarchiques. Ce qu’il ne supporte pas, c’est l’ingérence étrangère. En s’avisant d’y recourir, on ne tarderait pas à détruire ce grand élément de force : la cohésion. On émousserait aussi le point d’honneur. A voir le ministre employer des voies obliques, les subordonnés perdraient peu à peu ce sentiment scrupuleux, cette délicatesse, cette loyauté qui sont la parure de la vie militaire. »

Rappelant alors tout ce qui a été fait pour cette armée, pour son instruction et son bien-être, M. de Freycinet dit avec une satisfaction convaincue : « Le pays la contemple avec amour et orgueil comme l’instrument de son relèvement et le gage de son indépendance. Il lui confie tous ses enfans ; il lui demande d’en faire des hommes, d’élever leurs cœurs et de les pénétrer de l’esprit de sacrifice. Au jour des grandes épreuves, la France verra ce que vaut cette école de patriotisme où la jeunesse reçoit sa trempe, où chacun, du plus humble au plus fortuné, se prépare à remplir le suprême devoir. »

La loi de trois ans a rendu à l’armée les forces dont elle avait besoin et complété les régimens dont la faiblesse