franchise. Au temps de M. de Bismarck, les choses eussent pris une autre tournure, car l’erreur tenace du chancelier était de penser que nous cherchions la revanche à tout prix. « Il ne se rendait pas compte, remarque M. de Freycinet, que si la blessure de l’Alsace-Lorraine saigne toujours, nous ne sommes cependant pas assez imprudens pour en demander la guérison à une conflagration générale dont nul ne peut prévoir l’issue. Il ne se trompait pas moins au sujet de la Russie et la supposait impatiente d’affronter l’Allemagne, tandis qu’elle ne visait qu’à garantir sa propre sécurité… Il est donc possible que, lui gouvernant, notre entreprise de 1891-1892 eût déchaîné la guerre. L’empereur Guillaume II a montré plus de sang-froid. Il s’est dit sans doute que la France et la Russie avaient le droit de faire ce que l’Allemagne et l’Autriche avaient fait de leur côté, et qu’une alliance purement défensive, comme l’était la nôtre, servirait plutôt qu’elle ne compromettrait la cause de la paix générale. »
Les grandes manœuvres de 1892 où la France montra ses forces abondantes de réserves, bien préparées par le général de Miribrl et par le général de Cools, dans la plaine de Montmorillon, exercèrent une profonde impression sur l’esprit des officiers russes témoins de ces vastes et fortes évolutions, et par-là même sur l’esprit d’Alexandre III, au moment où l’on attendait la ratification de la convention militaire. L’aspect martial des hommes, leur entrain et leur endurance produisirent un puissant effet sur tous ceux qui assistaient aux manœuvres, et le baron de Frederichs déclara, au nom de tous ses collègues étrangers, qu’il emportait un souvenir ineffaçable de ces belles journées et de tous les soldats qui y avaient pris part.
L’honneur de signer l’alliance de la France et de la Russie était réservé à Casimir Perier, qui avait formé le Cabinet du 3 décembre 1893 et pris le portefeuille des Affaires étrangères. Par ordre du Tsar, M. de Giers apposa enfin sa signature sur le document qui attestait cette alliance. « Ainsi, écrit Jules Hansen, qui avait servi d’intermédiaire en ces longues et difficiles négociations et dont M. de Freycinet reconnaît le caractère actif et discret ; ainsi s’accomplit un des actes les plus importans du XIXe siècle. Sur le désir de l’empereur Alexandre III, qui ne voulait pas provoquer la méfiance des autres Puissances, les