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M. de Giers. Celui-ci était parti pour Aix-les-Bains où il avait à suivre un traitement. M. de Freycinet l’y alla voir et le trouva très fatigué, à tel point qu’il n’osa insister sur la nécessité d’en finir une bonne fois avec la convention. Le ministre promit formellement, dès sa rentrée à Saint-Pétersbourg, de provoquer la ratification officielle par son souverain. Mais un nouveau retard fut occasionné en janvier 1893, lors de la sortie de M. de Freycinet, puis de M. Ribot, du ministère. Alexandre III, que le changement de personnes déconcertait, se donna un nouveau temps d’observation. Au mois d’octobre, l’arrivée à Toulon de l’escadre russe, commandée par l’amiral Avellan, prouva que le Tsar était toujours dans des dispositions favorables. L’amiral répéta à M. de Freycinet que l’alliance était extrêmement populaire en Russie et que l’on considérait, quoique la convention militaire fût encore en suspens, qu’il ne s’agissait plus, pour s’entendre définitivement, que de simples formalités.

Le comte de Munster suivait avec une curiosité anxieuse les progrès des négociations franco-russes. Il était bien renseigné sur tout ce qui se passait. Un dimanche, il vint voir M. de Freycinet dans son hôtel et lui dit avec une bonhomie malicieuse : « Maintenant que vous êtes deux, vous aurez bien de la peine à rester tranquilles. Chez vous, on aime la guerre et vous entraînerez la Russie. » M. de Freycinet répondit très nettement que la politique du gouvernement était pacifique. — Celle du gouvernement, répliqua Munster, je le crois, mais la nation est batailleuse. Du moment qu’elle se sentira assez forte, elle donnera cours à ses instincts belliqueux. En France, vous êtes très susceptibles et la moindre étincelle mettra le feu aux poudres. — Eh bien ! déclara M. de Freycinet, vous vous trompez. Ce qui nous rend susceptibles et chatouilleux, c’est surtout la pensée qu’on nous croit faibles et qu’on ne compte pas suffisamment avec nous. Plus nous serons forts et moins nous serons ombrageux. Soyez sûr que nos rapports avec vous deviendront plus faciles, quand nous nous sentirons sur le pied d’égalité. Tant que nous étions seuls en face de la Triple Alliance, notre fierté était constamment en éveil. A présent, nous serons beaucoup moins impressionnables. Notre entente avec la Russie, vous le verrez, sera un gage de paix. » M. de Munster, qui ne cherchait pas à froisser les sentimens français, transmit fidèlement à son gouvernement ces assurances données en toute