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« La France, avait-il dit, la France isolée et presque obligée de se désintéresser de ce qui se passait autour d’elle, est redevenue, grâce à la réorganisation de son armée et à la sagesse de sa diplomatie, un facteur important de l’équilibre européen. La paix n’est plus seulement dans les mains des autres ; elle est aussi dans les nôtres et n’en est, par suite, que mieux assurée. »

De telles déclarations avaient leur prix. Il était important de donner à la Russie, non pas méfiante mais très prudente, les gages indispensables d’un accord calme et réfléchi. Le ministre russe était de ces hommes d’Etat qui n’acceptent les solutions que sagement préparées et faites de sang-froid. « M. de Giers, dit M. de Freycinet, me frappa par sa physionomie très fine et très franche. Il s’exprimait avec modération, en homme que l’effort fatigue et qui paraît d’ailleurs plus enclin à écouter qu’à parler. Il avait l’air réfléchi d’un diplomate de carrière et des manières aussi affables que distinguées. Se sachant en possession de la confiance de son souverain, il évitait de dire un mot qui put l’engager prématurément. » Lorsqu’il fut question « de la convention militaire, il déclara en toute sincérité que ce sujet appartenait personnellement au Tsar, qu’il n’avait pas le droit de la discuter, mais qu’il transmettrait fidèlement à Sa Majesté toutes les observations utiles qui pouvaient être faites. « M. de Giers, ajoute M. de Freycinet, parlait remarquablement le français ; avec lui aucune nuance n’était perdue. En outre, M. de Mohrenheim m’avait vanté sa mémoire. Je me sentis assuré que ma démonstration arriverait intacte auprès de l’Empereur. Je m’appliquai donc à développer, avec toute la conviction dont j’étais animé, les raisons décisives qui rendaient la rédaction d’un tel document indispensable. M. Ribot appuya dans le même sens. »

Le lendemain, M. de Mohrenheim dit à M. de Freycinet : « M. de Giers est acquis à notre cause. Vous l’avez convaincu. Naturellement, il ne peut rien vous dire et doit demander les ordres de Sa Majesté. De mon côté, j’ai sténographié vos argumens au passage et j’en fais l’objet d’un rapport à l’Empereur. Je serais bien surpris que l’esprit si juste, si clair de Sa Majesté ne fût pas touché par ces considérations. Seulement, il ne faut rien brusquer. L’empereur Alexandre procède lentement. Il aime à mûrir ses résolutions. Ne présentez donc pas de