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d’affronter la France et la Russie réunies. C’est ce que je répète dans ma famille. » Son dernier mot fut celui-ci : « La France a en moi un ami. » Et cela était vrai.

Un incident assez grave contribua à resserrer encore nos rapports avec la Russie. Ce fut la découverte en France d’un complot nihiliste contre le Tsar et l’arrestation des conjurés, ce qui fit dire à Alexandre III, très satisfait de cet acte énergique : « Il y a un gouvernement en France. » En outre, sur l’initiative éclairée de M. Barbey, ministre de la Marine, la France envoya, le 25 juillet 1891, dans les eaux de Cronstadt une escadre commandée par l’amiral Gervais. Le Tsar, la Tsarine et la famille impériale vinrent rendre visite à cette escadre, et il se produisit là un événement dont le retentissement fut très grand en Europe. Des milliers de Pétersbourgeois étaient venus à la rencontre de nos navires et les avaient acclamés avec un enthousiasme délirant, tandis que leur souverain et sa famille écoutaient tête nue l’exécution de la Marseillaise après celle de l’Hymne Russe. On comprenait maintenant qu’il ne s’agissait plus que de traduire un tel accord en langage diplomatique.

Dès le 24 juillet, M. Ribot avait adressé à notre ambassadeur en Russie, le comte de Laboulaye, des instructions précises au sujet de l’alliance projetée. Après plusieurs entretiens avec M. de Giers, ministre des Allaires étrangères, celui-ci saisit, le 6 août, le gouvernement français d’une proposition conforme aux désirs exprimés. Mohrenheim fut rappelé à Pétersbourg et mis au courant des pourparlers, tandis que M. de Freycinet, ministre de la Guerre, permettait à des officiers russes d’entrer en rapport avec l’état-major français pour s’initier au transport rapide des troupes, des vivres et des munitions. Le Tsar confirma les intentions de son ministre. L’ambassadeur, revenu à Paris, s’empressa de revoir MM. Ribot et de Freycinet, et le résultat de leur entretien fut la signature d’une convention définitive le 27 août. Pour en bien comprendre la portée, quoiqu’elle n’ait pas encore été publiée, il faut reproduire ce qu’en a dit M. de Freycinet lui-même.

« Elle répondait à des aspirations qui se manifestaient depuis de longues années et auxquelles l’occasion seule avait manqué pour s’inscrire dans un document officiel. Les peuples, par un instinct profond, avaient devancé les chancelleries. Cette convention, strictement défensive, ne cachait aucune pensée