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l’alliance désirée, quoique la présence de Jules Ferry aux Affaires étrangères fût de nature à soutenir les efforts de la diplomatie pour créer entre la Russie et la France des liens positifs. En 1884, le prince de Bismarck, dont cette alliance était le cauchemar, eut l’habileté de nouer, le 21 mars, avec la Russie, un traité de contre-assurance qui, valable pour trois ou six années, semblait être de nature à empêcher tout accord entre les Russes et nous. Mais les événemens furent plus forts que les hommes. L’empereur allemand et sa chancellerie avaient beau se proclamer les amis de la Russie et du Tsar, ces déclarations solennelles n’avaient pas la sincérité et la solidité d’une véritable alliance.

D’autre part, la Russie, préoccupée de son développement économique, trouvait en France les capitaux nécessaires à son commerce et à son industrie. Les emprunts de 1888 et 1889, et ceux qui suivirent, amenèrent la France à prêter aux Russes de nombreux milliards, ce qui rendit naturellement plus étroites les relations entre les deux Etats. MM. de Freycinet, Ribot, Constans et Laboulaye, — pour ne nommer que les principaux auteurs ou collaborateurs de l’alliance, — comprirent alors tout l’intérêt qu’il y avait à bénéficier de ce fait et s’employèrent à en tirer le parti le plus utile et le plus patriotique.


M. de Freycinet avait su gagner la confiance de la Russie par ses conseils amicaux et désintéressés. Il guida habilement l’ambassadeur russe, le baron de Mohrenheim, dans la crise bulgare et dans la crise rouméliote, et acquit ainsi une amitié loyale qui servit fort utilement à la formation de liens solides entre les deux pays. La presse russe comprenait fort bien et appuyait de son mieux cet accord. La revue de Longchamp en 1886, l’inauguration du monument à la mémoire du général Chanzy, amenèrent des manifestations non équivoques. M. Flourens, succédant à M. de Freycinet, agit habilement comme lui, dans l’intérêt de la paix et du maintien de l’équilibre européen. Le prince de Bismarck, en froideur accentuée avec Alexandre III, surveillait attentivement la Russie ; elle gênait ses plans, et il s’en inquiétait. Tenant à démontrer qu’il était toujours de taille à dominer ses adversaires, il publia le 3 juin 1888 le traité d’alliance défensive conclu en 1875 entre l’Allemagne et