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ne put rien promettre, n’ayant pas reçu d’instructions à cet égard.

Le 13 juillet, la dépêche d’Ems, falsifiée comme on le sait par Bismarck, met le feu aux poudres. La France croit naïvement que l’Autriche et l’Italie soutiendront la cause impériale. Notre diplomatie a beau faire pressentir à Gortchakof que l’intérêt de la Russie, comme celui de l’Europe, doit pousser les Neutres à sortir de leur inertie sous peine d’être victimes à leur tour des ambitions prussiennes, on ne nous comprend pas. On nous témoigne une froide sympathie, voisine de l’indifférence. Le 25 octobre, Gortchakof dénonce le traité de Paris, ne considérant plus la Russie liée par un arrangement qui restreignait la souveraineté du Tsar dans la Mer-Noire. Bismarck lui-même est étonné de cette revendication subite, car il sent que le procédé russe est une marque de défiance à son égard. « Qui sait, avait dit Gortchakof qui connaissait son rusé collègue ; qui sait si, une fois arrivé au terme de ses ambitions personnelles, la Prusse songerait encore à nous ? » L’affaire du Luxembourg était là pour rappeler la duplicité de Bismarck. Aussi, la Russie était-elle pressée d’obtenir le gage promis à sa neutralité et de ne point être le jouet de la diplomatie prussienne. L’Empire aurait dû s’attendre à cela, mais il ne sut rien prévoir. A Fleury qui écrivait : « Il faut que je puisse offrir quelque chose en échange de ce que vous voulez que je demande, » Napoléon avait répondu par des banalités. Il hésitait toujours entre l’alliance anglaise et l’alliance russe, ne sachant se décider nettement ni pour l’une, ni pour l’autre. Jamais politique ne fut plus décevante que la sienne. « Pour rompre bruyamment les traités de 1815, a écrit M. Pierre Rain dans une étude excellente sur les Relations de la France et de la Russie sous le second Empire, Napoléon III a fait la guerre de Crimée ; puis s’est rapproché de l’adversaire de la veille pour combattre plus facilement son allié. Vainqueur de l’Autriche, il a achevé d’anéantir la Sainte-Alliance en ressuscitant l’Italie, mais aussitôt il se retournait contre elle et s’efforçait d’arrêter sa marche vers l’unité. Il intervenait ensuite en faveur des Polonais, sans se soucier de mécontenter les Russes, persuadé qu’il entraînerait l’Europe à décréter la reconstitution de la Pologne. Se montrant par ailleurs favorable au développement et à l’unité de l’Allemagne, il s’émouvait des premiers pas faits vers la réalisation de cette unité. Toujours fidèle à son grand principe des nationalités, il se trouvait, après dix-huit ans