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furent molestés. Le précepteur du prince impérial, Augustin Filon, fut arrêté, obligé de s’enfuir. Un mandat d’amener fut lancé contre le percepteur d’Ollioules, Rigordy, accusé d’avoir été un instigateur de mon Comité électoral. Un ancien attaché de mon ministère, Melcot, se rendant à Tours, ayant contredit un voyageur qui racontait que je me consolais des malheurs de la France avec les millions que j’avais emportés, eût été massacré s’il n’avait obtenu de l’humanité du conducteur de ralentir-le train, ce qui lui permit de sauter à terre et de s’évader. Un arrêté du préfet de la Haute-Marne interdit à l’ancien député, Chauchard, le séjour dans trois départemens. Je m’arrête par crainte de la monotonie.


XXXIII

Nonobstant ces épisodes et d’autres du même genre, le coup de main du 4 Septembre fut accueilli en province avec la même placidité qu’à Paris. Nul ne protesta ; ce fut à qui s’empresserait de placer sa tête sous le joug d’un gouvernement sans titre et sans droits. Notre bon peuple est créé pour obéir. De temps à autre, il se passe la fantaisie de changer de maître, mais il est mal à l’aise dès qu’il n’en sent plus un et il ne renverse César que pour faire Brutus César. Henri IV, assistant à une procession, n’entendait que cris de Vive le Roi ! Sur quoi, un seigneur qui était près de Sa Majesté lui dit : « Sire, voyez, comme tout votre peuple se réjouit de vous voir. » Le Roi, secouant la tête, répondit : « C’est un peuple : si mon plus grand ennemi était là où je suis et qu’il le vit passer, il lui en ferait autant qu’à moi et crierait encore plus haut qu’il ne fait[1]. »

La plupart des hauts fonctionnaires auraient cru manquer à l’honneur en accordant plus qu’une trêve au gouvernement de l’Hôtel de Ville, et en lui offrant un concours même discret. Les soldats s’estimèrent au contraire tenus, dès qu’on les en requérait au nom du salut public, à donner un concours actif pour défendre le territoire envahi. Cette conduite paraissait tellement obligée, que, le 20 septembre, dès qu’il fut rassuré sur le sort de son fils, Palikao offrit ses services à la délégation de la Défense nationale à Tours. Le chevaleresque et délicat

  1. L’Estoile.