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et je dis malheureusement, car c’est ici que je voudrais mourir (Mouvement), nous n’avons pas cet espoir… ; Peut-être pouvons-nous être bons à quelque chose au dehors, peut-être pouvons-nous, à des titres divers, rendre encore quelques services au pays et à la dynastie, car, moi, je parle encore aujourd’hui, et je parle bien haut, de la dynastie. (Très bien ! très bien ! ) En nous séparant, d’ailleurs, nous cédons à la force, non à l’intimidation, et notre but est de défendre, chacun par nos moyens personnels, l’ordre et la dynastie impériale. »

Rouher exprima le même avis : « Aucune force ne nous menace, nous pouvons attendre longtemps sans être saisis d’un projet de loi et n’avons actuellement aucun sujet de délibération. » Quentin-Bauchart pense au contraire que se disperser dans un tel moment serait une désertion. « Par notre présence, dit-il, nous protestons contre ce qui se passe de violent et de révolutionnaire dans l’autre assemblée. » La permanence n’en fut pas moins rejetée. Alors une discussion confuse s’engage sur l’heure et le jour de la prochaine réunion. Rouher fait observer qu’une séance de nuit aurait des inconvéniens, et disparaît du fauteuil où il est remplacé par le vice-président Boudet. Sur sa proposition, la séance est remise au lendemain, à l’heure ordinaire. Dans la soirée (10 heures), Floquet vint mettre les scellés sur la salle.

Le Sénat finit, comme son président, dans une correcte insignifiance. Dans ces cruelles circonstances, Rouher montra une débilité d’esprit et de caractère dont furent surpris même ceux auxquels était connue la passivité de sa nature de grand procureur. Jouissant de la confiance de l’Impératrice et des ministres, il paraissait appelé à devenir le directeur de leur conduite : loin de dominer l’événement, il en fut écrasé. Dès le premier moment, il tomba en désespérance et prononça le mot du sauve-qui-peut : « Tout est perdu ! » Il ne fut d’aucun secours à la malheureuse femme, qui avait tant besoin d’être dirigée ; il ne sut prendre aucune initiative, ne manifesta aucune vue personnelle’ ; il flotta à tout vent, toujours de l’avis du dernier avec lequel il conférait. Aux Tuileries, il opine avec Palikao que Mac Mahon aille vers Bazaine ; à Châlons, il se retourne, est de l’opinion contraire avec l’Empereur et Mac Mahon. Revenu à Paris, il redevient partisan de la tactique de Palikao. On se doute à peine qu’il existe, tant on sent peu sa présence, sa parole, son action, son autorité. Il ne l’employa pas même à modérer les ardeurs