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Le rapport Martel est lu, Abbatucci, Gavini, Pinard le combattent : « C’est la déchéance sous une forme indirecte ; ils n’ont ni le désir ni le droit de la voter. » Dréolle intervient : — Qui est plus impérialiste que lui ? On peut donc le suivre lorsqu’il conseille de voter la proposition. Malheureusement ce n’est plus une question de conscience qui est posée, c’est une question de fait : « Y a-t-il en réalité vacance du pouvoir ? Tous ceux que j’aimais ne sont plus, l’, Empereur est prisonnier à Sedan, le prince impérial s’est réfugié à l’étranger, l’Impératrice a dû quitter les Tuileries. Je le dis donc à tous mes amis, à tous ceux qui, comme moi, eussent repoussé une proposition de déchéance, il y a un fait qui nous domine, qui paralyse toutes nos convictions et tous nos dévouemens, c’est la vacance du pouvoir. Je les conjure donc de voter vite, et moi, je le déclare bien haut, comme impérialiste, et sous la réserve de l’avenir que nous pouvons sauver par une prompte décision, je vote pour la proposition de Thiers. » C’était la déchéance acceptée sans ambages. Le fait qu’invoquait Dréolle pour décider son vote était précisément ce qui devait l’en détourner : le devoir des impérialistes était de tenir, contre la vacance illégalement produite du trône, le langage de protestation indignée que Buffet venait de laisser tomber de ses lèvres éloquentes contre l’envahissement de l’assemblée.

J’imagine le sourire sardonique avec lequel Thiers dit : « Les paroles de M. Dréolle sont fort sages et sa conduite décide le vote. » Elle ne le décida ni pour Chevandier de Valdrôme, ni pour Louvet, ni pour ceux de mes amis présens, qui, avec Cosses et Pinard, se levèrent, au nombre d’une dizaine, contre la sagesse de l’ami de Rouher. Ce zélé tint à lire lui-même, d’une voix forte, la proposition meurtrière. Avec Grévy, Garnier-Pagès, Barthélémy Saint-Hilaire, il figura parmi les délégués choisis pour être envoyés à l’Hôtel de Ville. : Grévy commença par refuser : il ne pouvait convenir à sa circonspection prévoyante de mêler le nom de Dréolle au sien dans une démarche publique. Il déclara donc que l’hostilité connue du personnage aux idées libérales était de nature à compromettre le succès de sa mission. « L’attitude de M. Dréolle, s’écrièrent Estancelin, Cochery, Martel, a été très digne et très louable. — Assurément, dit Grévy, et je l’en félicite. » Mais il persista à ne pas vouloir de lui pour compagnon. Dréolle, déconcerté, déclara d’un ton piqué qu’il remerciait Grévy d’avoir accentué sa