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ministre de Charles X la veille, il ne pouvait devenir le lendemain ministre d’une Révolution qui avait renversé Charles X. Cet exemple séduit. Toutefois Casimir Perier n’était pas un soldat astreint à un devoir spécial et la guerre n’était pas déchaînée lorsqu’il refusa son concours. Si Trochu était allé à l’Hôtel de Ville simplement en chef militaire, ainsi qu’il était au Louvre, son acte pourrait donc sembler légitime et patriotique. Mais il a demandé à présider le gouvernement comme chef politique. Officier favorisé par l’Empereur, gouverneur de Paris en son nom, il a réclamé la direction du gouvernement qui dépossédait l’Empereur. Un tel acte cause un véritable malaise moral.

Je n’ai aucune sympathie pour la nature pharisaïque de Trochu. Il m’a blessé par un refus de concours à l’heure où son concours eût été le plus efficace ; il a cru se soustraire aux attaques dont il était bombardé en rejetant ses fautes sur le ministère libéral ; il l’a accusé d’avoir provoqué la Prusse, de n’avoir pas été prêt ; il a été jusqu’à s’approprier la sottise transcendante qui met dans le plébiscite la caisse de la guerre. Néanmoins je ne saurais ratifier l’accusation qui le rend responsable de la chute de l’Empire. Il a eu de grands torts. Il a été malveillant, amer, dur, il n’a pas eu la magnanimité de se placer au-dessus de ses ressentimens ; alors qu’il ne devait songer qu’à agir, il s’est abandonné à une loquacité impitoyable ; il a désespéré bruyamment et prévu les catastrophes avec une complaisance qui semblait les souhaiter ; il s’est donné l’apparence d’un ambitieux qui se prépare plus que d’un féal qui "se dévoue. Son refus d’accepter le ministère de la Guerre le 8 août, puis ses relations avec les membres de la Gauche l’incriminent gravement. S’il eût accepté le ministère de la Guerre, lorsque je le lui offris, il aurait été opposé à la marche vers Bazaine, il nous eût aidés à faire revenir l’Empereur et l’armée à Paris, nous eût préservés de la catastrophe de Sedan et aidés à organiser la défense nationale sur des bases solides. Ses colloques avec la Gauche sont inexcusables. On n’y conspirait pas au sens strict du mot, on s’entretenait surtout des événemens, mais on se rapprochait en vue de la catastrophe prochaine avec la pensée d’agir d’accord. Chef militaire nommé par l’Empereur, il manquait aux plus élémentaires convenances morales en recevant des députés qui venaient de vilipender