Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il exigea alors, avant d’accepter définitivement, d’aller rendre compte de la situation à Palikao, le seul de ses supérieurs auxquels il pût s’adresser.

Il trouva Palikao absorbé dans la douleur profonde que lui causait la nouvelle de la mort de son fils. Reçu avec une cordialité attendrie, Trochu n’en eut ni manifestation de surprise, ni blâme, au contraire plutôt un assentiment. « La révolution, dit Palikao, est un fait accompli ; si vous ne prenez pas la direction des affaires militaires, tout sera perdu ; si vous la prenez, tout sera peut-être encore perdu, mais les troupes seront à vous. » Et ils se séparèrent avec une telle confiance que Palikao lui recommanda les siens et ses propres intérêts, en l’assurant de ses sentimens d’ancienne affection et de haute considération.

Trochu s’en retourna à l’Hôtel de Ville allégé et décidé. Il n’y trouva plus que Jules Favre. Les autres s’étaient rués à la possession des ministères de leur prédilection : Crémieux vers la Chancellerie, Gambetta vers l’Intérieur. Trochu raconta son entrevue avec Palikao. Il ajouta qu’il avait réfléchi et croyait ne pouvoir entrer au gouvernement que si on lui en donnait la présidence à la place de Jules Favre. Il savait que sa demande était délicate et insolite ; seul l’intérêt commun la lui suggérait : il fallait placer à la tête du gouvernement un drapeau militaire connu par les officiers et les soldats et non pas un drapeau politique contesté ; l’armée se rallierait à lui, elle ne se rangerait pas autour de Jules Favre. Sa demande fut accueillie aussitôt sans discussion, et il devint le président du gouvernement de la Défense nationale.


XXV

Trochu avait-il le droit d’aller à l’Hôtel de Ville ? En 1830, en pleine insurrection, Charles X appelle Casimir Perier et le charge de former un ministère pour retirer les Ordonnances., La révolution accomplie, la Commission municipale réunie à l’Hôtel de Ville offre le portefeuille de l’Intérieur à Casimir Perier. A cette offre imprévue il se trouble et balbutie une acceptation, mais, une heure après, il implore de la générosité du secrétaire de la Commission un erratum au Moniteur[1] :

  1. Louis Blanc, Histoire de dix ans. Vol. I, p. 391.