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paraît n’avoir nullement compris. Il a négligé la Commission internationale, il n’a tenu aucun compte de ses conseils et il a penché si visiblement du côté de l’Autriche, que l’opinion italienne s’est révoltée contre lui. Les gouvernemens autrichien et italien se disent d’accord : il est difficile de croire à cette vérité toute protocolaire. Les incidens pénibles se sont multipliés. Le plus grave a été l’arrestation et l’expulsion d’Essad pacha, qui s’est naturellement réfugié en Italie où il attend les événemens : toute la partie musulmane de l’Albanie en a été révoltée et est entrée en insurrection. Qu’a fait alors le prince ? Il a appelé à son secours les catholiques protégés de l’Autriche, c’est-à-dire les Malissores et les Mirdiles, qui sont en minorité dans le pays. C’était déchaîner la pire des guerres civiles, la guerre religieuse, et soulever contre lui des rancunes et des haines inextinguibles. Durazzo a été assiégé. Le prince avait pour défenseurs la gendarmerie hollandaise dont le chef, l’infortuné colonel Thomson, a été tué ; les Malissores qui, après avoir essuyé quelques défaites, ont refusé de se battre davantage en dehors de la ville ; enfin les Mirdites, qui ont tenté un dernier combat, au cours duquel leur chef, le prince Prenk Bib-Doda, a, dit-on, été fait prisonnier. On l’aurait relâché moyennant la promesse solennelle que ni lui ni les siens ne prendraient plus part aux hostilités. Que reste-t-il au prince de Wied ? Il semble que le dénouement soit proche.

Mais ce dénouement n’en sera pas un, et le problème restera entier, avec sa complexité inquiétante, en face de l’Autriche et de l’Italie qui l’ont posé. Et quand on pense que, si elles avaient laissé les choses suivre leur cours normal, elles auraient pu jouer un facile jeu de bascule entre la Serbie et la Grèce, qui se seraient l’une et l’autre, et même l’une contre l’autre, acharnées sur l’Albanie et y auraient trouvé de l’occupation jusqu’au milieu du siècle, au grand profit de la tranquillité et de la paix du reste du monde ; quand on pense cela, on se demande quel mauvais génie a poussé les hommes d’État de l’Autriche et de l’Italie à inventer entre eux cette pomme de discorde qui a donné déjà et qui donnera encore tant de tracas à leurs deux pays et tant de soucis à l’Europe.


Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
Francis Charmes.