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elles prises ? L’administration a l’habitude de l’irresponsabilité. Au surplus, c’est là un cas de l’ordre matériel : ceux qui tiennent à l’ordre moral sont encore plus graves. Paris qui voit le sol s’ébouler sous ses pieds a passé une journée sans recevoir son courrier. Les facteurs avaient suspendu le service parce qu’ils étaient mécontens d’un vote du Sénat qui, après leur avoir accordé une trentaine de millions d’augmentations, leur avait refusé une soixantaine de mille francs destinés à des indemnités de séjour. Les sous-agens des postes ne se sont pas contentés d’interrompre le service, ils ont proféré des menaces, ils se sont livrés à des voies de fait. Ce n’est pas une grève, disaient-ils, c’est seulement une manière de manifester notre mécontentement. Mais le public n’entre pas dans ces distinctions. Que ce soit une grève ou non, les conséquences sont les mêmes ; la vie sociale est troublée ; le commerce souffre et se plaint. Que fait pourtant le gouvernement ? Il parlemente avec les ouvriers, et, en fin de compte, le ministre du Commerce et des Postes s’engage à défendre devant la Chambre l’augmentation de crédit que le Sénat a repoussée. Est-ce un engagement ? M. Thomson déclare qu’il n’en a pris aucun, mais les ouvriers croient et disent le contraire : on s’est, comme d’habitude, mis d’accord sur une équivoque. Mais gageons que M. Thomson demandera à la Chambre de voter l’augmentation : l’aurait-il fait, si les facteurs ne s’étaient pas révoltés ? Ces faiblesses continuelles encouragent de plus en plus à l’emploi de la force, puisqu’elle réussit toujours, alors qu’elle devrait ne le faire jamais. Là encore l’opinion restée saine attend des sanctions qui ne pourraient être que la révocation d’un certain nombre des agitateurs : elle attendra en vain. Il est pourtant intolérable qu’une poignée de sous-agens dictent la loi au Parlement et au gouvernement ; mais on le tolère. Il n’en a pas été toujours ainsi. Il y a quelques années, a éclaté une grève des postes ; le gouvernement d’alors avait à sa tête M. Clemenceau ; il a fait acte d’autorité et révoqué plusieurs agens. L’ordre a été rétabli et le service a repris. Une campagne a été commencée aussitôt pour obtenir la réintégration des révoqués : M. Clemenceau a tenu bon et a déclaré qu’aucune réintégration n’aurait lieu pendant qu’il serait au ministère, ce dont il convient de le féliciter. Mais, après lui, les postiers révoqués sont rentrés en triomphateurs. Ce sont les capitulations de ce genre qui détruisent chez nous le principe d’autorité. On a pris, il est vrai, cette fois le moyen de n’avoir pas à réintégrer les pseudo-grévistes, c’est de ne pas les révoquer, mais cela ne vaut pas mieux.