Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui, lui aussi, a dit la vérité sur la situation, a commencé son discours par un aveu de découragement. Le Sénat est comme l’ancien qui voyait le mieux et qui l’approuvait, mais qui faisait le pire avec résignation : Video meliora proboque, deteriora sequor. Nous tremblons qu’il n’incorpore au budget courant l’impôt sur le revenu tel qu’il a été voté par la Chambre, ou avec des modifications qui n’en changeront ni le caractère, ni la portée. Ce sera pour le Sénat une abdication, pour nous un abandon. Mais il arrive un moment où tout le monde veut en finir, et généralement alors, on en finit fort mal. On annonce donc déjà que l’impôt sur le revenu sera appliqué l’année prochaine et l’impôt sur le capital l’année d’ensuite. Ils seront alors conjoints, comme dit M. Caillaux auquel nous les devrons et qui n’aura plus qu’à revenir aux affaires pour les prélever sur nous.

Au point où nous sommes, il faut souhaiter que le ministère Viviani dure : il est médiocre à la vérité, mais pouvons-nous avoir mieux, puisque le parti radical-socialiste, qui est le parti de la médiocrité, a la prétention de gérer seul nos affaires et qu’il a la force numérique dans les Chambres. Comment s’opposera son règne ? Il faut en attendre les résultats : le pays alors s’apercevra sans doute de son erreur et cherchera les moyens de la corriger. Nous sommes aussi éloignés que possible de la détestable politique du pire ; toutes les fois qu’on peut s’opposer à un mal, c’est un devoir de le faire avec énergie ; mais il faut bien subir ce qu’on ne peut plus empêcher. Nous entrons dans une ère nouvelle : il n’est pas sûr du tout que le pays l’ait voulu, mais il a voté pour ceux qui le voulaient et, dès lors, les conséquences s’imposent, au moins pour quelque temps.

Elles se manifestent tout d’abord par une diminution sensible de l’autorité du gouvernement. Sans doute il reste très fort pour gêner, tracasser, persécuter ; mais c’est là l’œuvre de l’administration ; le gouvernement, dans la haute acception du mot, en a une autre à faire. En est-il capable ? Tout le monde commence à en douter. Paris a été profondément ému, depuis quelques jours, par les catastrophes qui se sont produites, à la suite d’un orage, dans ses places et ses voies publiques les plus fréquentées. Il se demande si sa sécurité est assurée : on lui répond qu’il y a eu un cas de force majeure et que d’ailleurs on fait une enquête. Mais il ne croit pas à la force majeure et il attend les révélations de l’enquête avec une impatience mêlée de scepticisme. Il y a eu certainement des négligences commises, car il n’est pas admissible qu’une ville comme Paris s’effondre sous le coup d’un orage, quelque violent qu’il soit. On attend des sanctions ; seront-