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est tombé a ajouté encore quelque chose à la déconsidération du gouvernement parlementaire, si on peut donner le nom de gouvernement à ce qui ne mérite que celui d’anarchie.

Le Cabinet Ribot n’étant plus, il a fallu pourvoir à son remplacement, opération qui paraissait être compliquée et qui s’est trouvée ne pas l’être, car le remplaçant se tenait prêt dans la coulisse, et son Cabinet était d’avance à peu près complètement formé. M. le Président de la République a ouvert ses consultations habituelles, rituelles : tout le monde lui a conseillé de faire appel à M. Viviani. On se rappelle pour quels motifs, quelques jours auparavant, celui-ci avait échoué dans la formation de son ministère : résolu à maintenir la loi de trois ans, il avait fait espérer que plus tard, à une date indéterminée, quand on se serait entouré de précautions nouvelles et que l’expérience en aurait éprouvé l’efficacité, on pourrait, peut-être, alléger les charges militaires du pays, si la situation extérieure le permettait. Ce dernier membre de phrase a tout gâté. MM. Godard et Ponsot, qui devaient entrer dans la combinaison, ont exigé qu’on l’effaçât et, M. Viviani s’y étant refusé, tout a été rompu. Mais la rupture n’était pas irrémédiable ; on pouvait dire la même chose en d’autres termes, et, en effet, au lieu de : « si la situation extérieure le permet, » on a dit : « sans porter atteinte à la défense nationale. » Tout le monde convenait que cela revenait au même, mais alors, pourquoi avoir changé ? Nous n’étions pas sans quelque défiance. Ici encore, les mots avaient grandement besoin d’être garantis par les hommes et on a pris, pour les garantir, des hommes dont tout le passé contredisait leur sens naturel. Comment comprendre, par exemple, pourquoi M. Augagneur, adversaire résolu de la loi de trois ans, est entré dans un ministère non moins résolu à la maintenir ? On raconte que l’homme le plus étonné de ces contradictions est M. Godard qui, député de Lyon comme M. Augagneur, avait été poussé par lui à émettre l’exigence sous le poids de laquelle la première combinaison Viviani a sombré. Il y a, en toutes choses, et surtout dans les choses parlementaires les plus graves, un côté comique parfois très accentué : la substitution de M. Augagneur à M. Godard en est une preuve. Quand celui-ci a laissé choir son portefeuille, il ne s’attendait pas à ce que celui-là le ramasserait et se l’approprierait. Ce tour de passe-passe était de nature à inspirer des doutes sur la sincérité de M. Viviani, sur sa loyauté à l’égard de la loi de trois ans. Mais il a fait plus, il a offert à M. Combes un ministère, démarche qui était faite pour achever de nous déconcerter. M. Viviani ne pouvait en effet pas