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fallu plus de trois ou quatre heures de séance pour le mettre à bas.

Triste séance ! Il est fâcheux pour une Chambre à ses débuts d’en avoir donné le spectacle. Nous ne parlons pas seulement, pour le déplorer, de l’acte politique qu’elle a accompli avec tant de légèreté et d’imprudence, mais de la manière dont elle s’y est prise. Elle ne voulait pas de M. Ribot ; les radicaux-socialistes, encore dans l’ivresse de leur succès électoral, prétendaient exercer eux-mêmes le pouvoir ; ils entendaient être ministres, être les maîtres : soit ! mais là aussi il y a la manière, et celle que la Chambre a adoptée ne sera pas pour elle un titre d’honneur dans notre histoire. Le mot d’ordre du Bloc a été d’empêcher M. Ribot, non pas de parler, ce qui était difficile, mais d’être entendu, ce qui, au contraire, était facile. Il y avait, dans ce parti pris, comme un dernier hommage rendu au talent de l’orateur : on a étouffé sa voix parce qu’on la redoutait. Cependant il a dit au moins l’essentiel de ce qu’il voulait dire, et son discours, reproduit par tous les grands journaux, a atteint son but qui était d’éclairer loyalement l’opinion sur les dangers de la situation actuelle et d’y chercher les remèdes les mieux appropriés. Le seul argument que les radicaux ont opposé à M. Ribot est qu’ils étaient mieux qualifiés que lui pour faire leur politique et que rien dans son passé ne l’avait préparé à cette tâche. Les quatre ou cinq orateurs qui lui ont répété la même chose, se sont contentés d’y mettre un ton différent, brutal avec M. Augagneur, ironique et narquois avec M. Sembat, insignifiant avec les autres. Quant à la Gauche, elle semblait déchaînée, et procédait par des hurlemens ininterrompus, qui sont devenus encore plus bruyans peut-être lorsque M. Bourgeois a pris la parole, de sa place, pour donner à la Chambre quelques explications. Certes, on ne pouvait pas taxer d’ambition un homme qui s’est refusé à tous les honneurs et qui, depuis quelques années, s’est consacré surtout à des œuvres d’humanité ; il aurait probablement préféré ne pas entrer dans le ministère Ribot, et s’il l’a fait, c’est parce qu’il a cru de son devoir de le faire ; mais il n’est pas permis à un radical-socialiste d’obéir à sa conscience, il doit se soumettre aveuglément à la discipline du parti. M. Bourgeois a donc eu seul largement sa part des vociférations qui ont accablé M. Ribot. Chez les radicaux, les vieux dieux se changent facilement et rapidement en idoles qu’on renverse et qu’on brise. On a dit autrefois, peut-être prématurément, que le respect se perdait : aujourd’hui, il est perdu. Ne respectant plus rien, la Chambre ne se respecte plus elle-même, ce qui est peut-être une manière de se bien juger. La séance où M. Ribot