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comprendre cesse d’être une peine, entendre redevient un plaisir. Et de cette œuvre-là, nous le disions plus haut, tout s’entend, jusqu’aux paroles. Or, vous le savez, dans l’état actuel de la musique de théâtre et sous le régime du tout à l’orchestre, il n’est rien d’aussi rare que ce phénomène, ou ce miracle, de l’audition intégrale. Jamais, dit-on, la musique n’eut comme aujourd’hui le respect, l’amour même du verbe. En réalité, jamais elle ne l’outragea davantage, en le rendant plus inintelligible. Elle l’entoure, elle l’enveloppe, à la manière de Néron : « J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer. » A l’Opéra, pour nous du moins, passe encore. Là, grâce à la place de choix qui nous est assignée, sans doute aussi par quelque heureux effet d’acoustique, nous ne perdons pas un seul mot, non de ce que les chanteurs chantent, mais de ce que souffle le souffleur. Aussi bien, dans l’art de la diction, ce fidèle serviteur est un maître. Il prononce à merveille. Nous lui devons de connaître avant tout le monde, un peu avant, le texte des drames lyriques représentés pour la première fois. Avec la musique de M. Rabaud, pas besoin de souffleur. Au lieu d’obscurcir et d’écraser les paroles, l’orchestre les porte et les éclaire. Et cela même est une surprise, une joie. La joie, c’est décidément par ce mot qu’il convient de finir. L’œuvre de M. Rabaud respire la gaieté et l’inspire. Elle nous arrache à cette espèce de délectation morose dont la musique est aujourd’hui l’un des modes les plus répandus et les plus hautement considérés. Marouf, savetier du Caire, s’achève par un cantique d’allégresse. Ajoutons-y nos actions de grâces. M. Rabaud les a bien méritées. Encore une fois, nous suffoquions : il n’a pas cassé les vitres, mais il a ouvert la fenêtre.

Nous ne médirons pas non plus des interprètes. Sous les traits de la belle princesse, Mme Davelli ne se contenta point d’être belle. Quant à M. Jean Périer (Marouf), on ne saurait montrer plus de naturel et de vie, plus de finesse et de malice, tantôt plus de modestie, d’humilité même, et tantôt plus de bonhomie et de cordialité. M. Delvoye remplit d’un comique généreux le petit rôle du grand vizir. Enfin, sous la direction très intelligente de M. Ruhlmann, une œuvre qui n’est facile qu’en apparence, parut l’être en effet.


Nous tenons à réparer deux erreurs qui se sont glissées dans notre dernière chronique. Premièrement nous avons mis sur les lèvres d’Œnone un vers de Phèdre. Ensuite, faisant l’éloge d’une excellente Isolde, entendue au théâtre des Champs-Elysées, nous l’avons nommée, au lieu de Mme van der Osten, Mme van Ostade. L’analogie des deux