Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

scherzo) de sonate ou de symphonie. A cet égard, la scène de la bastonnade (premier acte) est exemplaire. Bien construite, ou plutôt bien menée, car elle se meut, car elle court, elle forme un ensemble harmonieux, où les divers élémens de la musique se balancent et se répondent. Les membres de phrase, les notes et les voix, les groupes de notes et de voix, tombent et retombent en cadence, comme les coups. A l’orchestre, par momens, un thème gémissant et lié traverse la symphonie rebondissante, mêlant au geste rythmé des fouetteurs la plainte moins régulière du fouetté. Voilà de l’excellente musique de théâtre, ou, comme on peut dire encore, surtout ici, de la musique appliquée, et de la très bonne musique tout court.

La raison règle de même, sans le contraindre ni le refroidir, certain dialogue (au quatrième acte) entre le vizir et la princesse : celui-ci décriant, au moins par des insinuations, et celle-là défendant son époux. Le vieux ministre ne parle qu’argent, la jeune femme ne répond qu’amour. Avec esprit, avec éclat, par la mélodie, le mouvement et le rythme, la musique oppose ici les sentimens et les caractères. Comme toujours, elle enferme en des formes tout près d’être classiques la vérité et la vie. Mais elle les y enferme et ne les y étouffe pas.

Classique enfin est l’épilogue. La comédie achevée, le musicien se donne, pour la dernière fois, le plaisir de faire de la musique, rien que de la musique. D’autres que lui, jadis, et non des moindres, conclurent de la même manière : le Mozart de Don Juan (version originale), le Beethoven de Fidelio, et, plus près de nous, le Verdi de Falstaff. M. Rabaud a suivi leur exemple. Il a couronné son œuvre par une sorte d’acclamation générale (s’il ne s’agissait d’une turquerie, nous dirions un alleluia), par un robuste chœur fugué, tout débordant de verve et de joie. Auditeurs de Marouf, ne vous levez pas trop tôt. Modérez votre hâte accoutumée de sortir, de reprendre votre « vestiaire » et de trouver une voiture. Ces dernières pages méritent ce sacrifice. Vous en emporterez, après tant d’impressions vives et légères, une assurance de grandeur, de force et de solidité.

« Vives et légères. » Depuis combien de temps nos musiciens nous avaient-ils déshabitués de ces impressions-là ! On pourrait adresser à la France musicale d’aujourd’hui le vers de Musset : « Ils sucent un sein dur, mère, tes nourrissons. » Oui, notre musique est dure, elle est épaisse. Elle a fini par encombrer, obstruer notre oreille et notre intelligence à la fois. Une œuvre comme celle de M. Rabaud vient dégager un moment l’une et l’autre. En l’écoutant,