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l’initiative que le ministère ne prenait pas, et de toutes parts, en présence du désarroi gouvernemental, on cria : « A demain ! » Les députés de la Gauche, rassurés par cette attitude d’indécision, n’insistèrent pas. Eux, du moins, voulaient que le matin la France apprît, avec la catastrophe, leurs résolutions. Jules Favre monta à la tribune et, au nom de vingt et un de ses collègues, lut la proposition suivante :

ARTICLE PREMIER. — Louis-Napoléon Bonaparte et sa dynastie sont déchus du pouvoir. — ART. II. — Une Commission sera nommée dans la Chambre, qui aura pour but de résister à outrance à l’ennemi, de le chasser du territoire. — ART. III. — Le général Trochu sera maintenu dans son poste de gouverneur de Paris.

Ces mots lentement scandés résonnèrent dans le silence de la nuit comme un glas funèbre. Les ministres auraient dû repousser avec véhémence cette motion, réclamer la question préalable, affirmer, en quelques paroles enflammées, le droit de l’Empereur, et donner un témoignage de fidélité au prisonnier. Pinard seul fit entendre une brève protestation sur la procédure : « Nous pouvons proposer des mesures provisoires, dit-il, nous ne pouvons prononcer la déchéance. » On admira ce vaillant, on ne le soutint pas, et la majorité sanctionna, du silence de la peur, la proposition de déchéance de l’Empire et de l’Empereur.


XIII

Vous pensez peut-être qu’au sortir de la séance, les ministres, placés en sursaut en face du péril, vont cette fois se réunir, délibérer, aviser afin que leur réveil du matin ne soit pas une surprise plus désagréable que leur réveil de la nuit ? Ils sont trop stoïques pour s’émouvoir. « Il était deux heures du matin, a raconté Palikao ; je suis rentré me coucher. » Donc, bonne nuit !

Quelle couardise ! quelle incapacité ! ai-je souvent entendu dire avec colère au récit de cette conduite pendant ces heures tragiques. Ce jugement est injuste. Dans leur grande majorité, les membres du Cabinet du 10 août n’étaient ni couards, ni incapables ; quelques-uns même étaient fort braves et très intelligens. Un d’entre eux, Brame, donne les motifs réels de leur attitude : « Lors de chaque mauvaise nouvelle que nous