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grandeur de l’opera buffa. Il use avec mesure du leitmotiv même, dont il fait de place en place, au lieu d’une armature étouffante ou d’un couvercle de plomb, un voile, une écharpe légère. Même aisance dans l’emploi des modes ou des thèmes orientaux. Nul excès d’exotisme, et surtout pas la moindre impression de pastiche et de pacotille. C’est une chose délicieuse en ce genre que la première description, faite par Marouf au Sultan, de la caravane imaginaire. Elle forme le motif central de l’ouvrage, étant la représentation musicale de ce mensonge joyeux, ou, comme disait Renan, d’ « eutrapélie,  » nœud brillant et fictif où la pièce est suspendue. Oui sans doute, fiction et mirage, mais qui, dans l’esprit de Marouf lui-même, est presque devenu réalité. Marouf, et là n’est pas le moins plaisant de l’histoire, Marouf, pour un rien, finirait par être dupe de sa propre imposture, à force de s’en divertir et de s’en enchanter. La musique ici nous donne avec bien de la finesse la double impression de sa joie et de l’objet de sa joie ; elle traduit le sentiment et décrit le spectacle. Elle sonne, résonne et tinte, cette musique, elle chemine, marquant, par le rythme, l’allure, et, par les timbres, l’éclat et la variété du cortège qu’elle évoque. À ses accens, d’autres caravanes traversent notre mémoire : celle du Désert, l’une des premières et des plus simples de toutes ; celle des rois mages, dans le Christus de Liszt, admirable de magnificence ; plus près de nous, celle que M. Pierné, dans son oratorio : Les Enfans à Bethléem, fait défiler devant des gamins qu’elle n’étonne pas. Comme, eux, la musique ici ne s’en laisse pas imposer. Doucement, tout bas, elle se moque, à moins au contraire que ce ne soit tout haut et que, s’animant, s’exaltant elle-même, elle ne s’enhardisse et ne paie d’audace. La première fois seulement, au second acte, le thème de la caravane se développe tout entier. Plus tard, par fragmens, ou par bribes, il fait çà et là de spirituels retours, où le mot de caravane suffit pour éveiller chez les divers personnages une espérance, une crainte, un sourire. Arrive la dernière scène. Alors, heureuse et follement fière d’escorter enfin, pour de bon, une vraie caravane, la musique s’en donne à cœur joie. Elle s’amusait de l’illusion et de l’apparence ; elle se glorifie et s’enivre de la réalité.

L’œuvre de M. Rabaud n’est pas seulement spirituelle. Le sentiment s’y mêle à l’esprit et le sauve de la sécheresse. Et le sentiment, toujours juste, ne se guinde pas plus jusqu’au lyrisme de grand opéra, qu’il ne dégénère en sensiblerie de romance. On respire dans toute cette musique un air de bonhomie, de sympathie et de cordialité. Le musicien a beau rire, ou sourire, de ses personnages, il les aime, au