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donne comme un étranger opulent, cent fois, mille fois plus opulent qu’Ali lui-même. La feinte réussit. La ville entière, et jusqu’au Sultan, s’y laisse prendre. Aussi bien, à toutes les demandes, à tous les soupçons, Marouf répond invariablement par la description et l’annonce d’une soi-disant caravane, chargée de richesses inouïes, qu’il a devancée et qu’il attend. « La caravane ! » « Ma caravane ! » Rien que ce mot, répété sans cesse, opère des miracles : entre autres, et plus étonnant que tous les autres, le mariage de Marouf avec la fille du Sultan. Se fiant au crédit de son gendre, le Sultan ruine l’État en fêtes et largesses nuptiales. Mais le grand vizir a des doutes. Chaque jour plus inquiet, il décide la princesse à questionner son époux. Alors, — et ceci est charmant, — l’amoureux, l’heureux, l’insouciant Marouf ne répond à sa femme que par la confession ingénue, sans honte et sans regret, de son passé, de sa condition et de sa parfaite indigence. La petite s’en émeut d’abord, oh ! pas beaucoup, puis s’en console, très vite, et déjà, follement, s’en amuse. Après tout, prince ou savetier, c’est Marouf seul qu’elle aime, elle ne tient qu’à son Marouf et, puisqu’il est forcé de fuir, en un tour de main elle revêt des habits d’homme et se sauve, joyeuse et libre, avec lui.

Tous deux bientôt, se croyant hors d’atteinte, font halte dans une oasis. Un vieux fellah qui laboure son champ les accueille et leur offre de partager son repas. Tandis qu’il est allé le préparer, Marouf met la main à la charrue. Le soc heurte un anneau scellé dans une pierre et qui se brise. Marouf à peine l’a ramassé, que le fellah se change en un génie brillant de lumière. « Je suis, dit-il à Marouf, le gardien d’un merveilleux trésor que cette dalle recouvre. Je te le donne. Et maintenant, tu n’as qu’à former un souhait, je l’exaucerai. Voyons, que penserais-tu d’une caravane ? » Rien qu’à ce mot, du caveau qui s’est ouvert, surgit une équipe de lutins. Les bras, les épaules chargées de sacs d’or et d’argent, de pierreries, de vases et d’étoffes précieuses, ils ont l’air de déménager tout l’intérieur de la terre. Ils vont, ils viennent, s’en vont, reviennent et s’éloignent enfin. Mais alors une autre troupe accourt : c’est le Sultan, détrompé, furibond, avec sa suite, y compris Ali prisonnier. Déjà, sur Marouf et sur son complice, le bourreau lève son glaive, lorsqu’on entend et bientôt on voit approcher, en longue file, des chameaux et des chameliers. « Une caravane ! » dit quelqu’un. Et Marouf de reprendre, souriant sans trop s’étonner, car il a fini par y croire : « Ma caravane. » C’est bien la sienne en effet, plus nombreuse et plus riche qu’il ne l’avait jamais imaginée. Allégresse, embrassemens, apothéose. Ainsi