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Si nous avons parlé de l’œuvre ancienne de M. Rabaud, ce n’est pas que sa nouvelle œuvre s’y rapporte, autrement que pour s’y opposer. Mais le contraste même atteste la variété d’une imagination musicale qu’on aurait pu croire plus uniforme. Au sérieux, à la noblesse de la Fille de Roland, se mêlait, dans une forme ultra-classique, une certaine raideur. Au contact et comme sous l’influence d’un sujet moins grave, sans pour cela s’amollir et surtout s’abaisser, l’art de M. Rabaud s’est détendu. En même temps qu’il devenait plus souple, il s’est fait aussi plus vif et plus brillant.

Au lieu de procéder, comme le comportait la tragédie lyrique, par vastes plans et larges surfaces, le musicien de Marouf a multiplié les traits fins, les touches ouïes taches légères ; pour se créer un style plus rapide et plus chatoyant, il a remplacé par le menu détail la généralisation et le grand parti pris. N’allez pas en conclure au moins que la musique de Marouf manque d’unité, de fond et de dessous. Elle a beau n’être pas lourde, elle a cependant sa base et son aplomb. Elle a de même sa consistance et sa cohésion. Jamais elle ne s’émiette, et constamment elle rassemble dans un faisceau, dans une coulée sonore, les élémens ou les atomes subtils qui pourraient tendre à se disperser.

L’histoire de Marouf est un fort amiable conte. Il le serait davantage encore si l’on avait pris soin d’en abréger le cours et, çà et là, d’en châtier un peu le style. Pour une fois que la musique, — et l’on ne saurait trop l’en féliciter, — laisse entendre les paroles, celles-ci ne méritent pas toujours assez d’être entendues.

Or donc il y avait dans la ville du Caire un pauvre petit savetier. Marouf était son nom. Marouf, comme son confrère de chez nous, « chantait du matin jusqu’au soir. » Mais ses chansons étaient tristes, parce que Marouf avait une femme méchante. Elle le querellait sans trêve. Un jour même, elle alla se plaindre, — faussement, — au Cadi que son mari l’eût battue, et le Cadi fit appliquer, — vraiment, — cent coups de matraque à Marouf. Alors Marouf résolut de fuir sa « calamiteuse. » Des matelots passaient ; il les suivit. Mais le vaisseau fit naufrage sur des côtes lointaines, et tout le monde périt, Marouf excepté. Ayant gagné la terre à la nage, il fut recueilli, puis reconnu par un certain Ali, son ami d’enfance, devenu l’un des plus riches marchands d’une ville de légende, au pays des Mille et une Nuits.

Pour tenter la fortune, sur le conseil et grâce à la connivence de son ingénieux et généreux sauveur, revêtu par lui de magnifiques vêtemens, les poches par lui garnies d’or, Marouf use d’un stratagème. Il se