Il y fallait frapper un grand coup. La musique en a frappé deux, qui se suivent, et dont le second surpasse le premier, ou le redouble. Avec cela, grâce à la variété des moyens dont la musique dispose, l’un et l’autre effet ne se ressemblent pas. Ce sont deux explosions de joie, et d’une joie triomphante, mais qui s’épanche en deux courans et comme sur deux modes divers. D’abord, une sorte d’invocation ou d’hommage à la France immortelle, se déroule, à demi déclamé, chanté à demi, sur un de ces frémissemens de l’orchestre qu’on appelle communément un trémolo. La chose, autant que le nom, peut être vulgaire. Bien amenée, elle peut aussi ne l’être point. Wagner, en plus d’un passage célèbre, n’a pas dédaigné cet effet. Ne soyons pas plus difficiles que Wagner. Ici notamment, le mouvement, si juste, si vrai, qu’il en paraît presque nécessaire, l’ampleur de la récitation, la chaleur aussi qui l’anime, tout cela sauve de la banalité l’élément instrumental autant que l’élément oratoire du pathétique vocero. Gérald survient alors. Il porte les deux épées, dont l’une a vengé l’autre et l’a reconquise. « Sire, voici Joyeuse et voici Durandal ! » Brusquement, tout change dans la musique, et, comme l’ordre sonore, l’ordre du sentiment est renouvelé. C’est une chose tout à fait belle que le salut et le baiser de Charlemagne au fer glorieux enfin remis entre ses tremblantes mains. Le style récitatif cède au style, au grand style, mélodique et symphonique en même temps. Une phrase chantée, et chantante, s’élève et s’étend au loin. Mieux qu’une phrase : une longue, une ample période, constante par le caractère et le sens général, variée par des incidentes qui toutes dérivent de l’idée principale et s’y rapportent toutes. Ainsi, dans l’âme émue, exaltée, de Charlemagne, se suivent ou se mêlent des états, ou des mouvemens similaires, qui pourtant ne se confondent pas : joie, orgueil, enthousiasme, ferveur pieuse, tendresse et douleur paternelle. Et la beauté supérieure d’une telle musique tient justement à ceci, qu’elle n’a rien méconnu, rien négligé de cette âme innombrable, qu’elle nous en donne l’expression totale et diverse à la fois. Dans l’éloquence de cette strophe, l’orchestre aussi, nous le disions plus haut, a sa part. Un trémolo ne lui suffit plus. Non content d’accompagner la phrase vocale, ou de la soutenir, chantant lui-même, et tout entier, il l’accroît et la multiplie. Il bouillonne, il ruisselle à l’entour ; il l’entraine, la soulève, et dans ces quelques pages le musicien nous offre un insigne exemple de ce que peuvent les forces rassemblées de la symphonie, quand elles veulent bien servir, et non point asservir la force unique de la voix.
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