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XII

Les ministres, sortant la plupart de leur lit, arrivèrent à la Chambre en se frottant les yeux. Ils s’entassèrent, de fort méchante humeur, dans le cabinet de Schneider ; Palikao surtout était mécontent. Dréolle lui ayant parlé de constituer un Conseil de gouvernement, afin de ménager à l’Empereur un pouvoir sauvegardé par un effacement provisoire, il jugea avec raison le projet révolutionnaire et ne voulut rien entendre. Et, comme on le menaçait de l’invasion de la rue : « J’ai 40 000 hommes pour dégager la Chambre, dit-il. Je ne me rendrai pas à cette séance. » Il eût mieux valu, en effet, qu’il ne s’y rendît pas. Il y vint néanmoins avec les autres. Schneider l’y avait décidé en obtenant de Jules Favre, par lequel il avait été informé du dépôt de la proposition de déchéance, que la Gauche n’insisterait pas pour sa discussion immédiate et accepterait le renvoi au lendemain.

Ce que les promoteurs de la séance de nuit avaient espéré se réalisa. Aucune manifestation révolutionnaire ne troubla la liberté des délibérations. Le rassemblement qui, sur les boulevards et au Louvre, n’avait pu entraîner la foule, avait fini par se rabattre, en bandes plus tumultueuses que considérables, sur le Corps législatif. Lorsqu’elles y arrivèrent, le quai était absolument désert ; les députés délibéraient. Elles répétèrent les cris : « La déchéance ! Vive la République ! » Elles parurent, dans le silence et les ombres de la nuit, plus effrayantes qu’elles n’étaient. Une centaine de députés, en attente dans la salle des conférences, accoururent se rendre compte. Parmi eux était Gambetta. Il monta sur une chaise à l’intérieur de la grille et se mit à haranguer les manifestans. Il les engagea à rentrer chez eux : « Vive la République ! » lancèrent encore quelques voix. — « Vous avez tort, gronda-t-il : lorsque le moment sera venu de proférer ce cri, je ne me laisserai devancer par personne ; mais il ne faut pas que la République hérite des malheurs qui viennent de fondre sur notre patrie. Ne songeons aujourd’hui qu’à repousser l’ennemi qui menace de nous envahir. Comptez sur moi, comptez sur nous, et nous vous promettons que, dans les circonstances graves où nous sommes, personne de nous ne faillira à son devoir. » Ces paroles sont bien accueillies,