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Puisque leur douleur est sainte, ils vont la raconter, dans leurs poèmes, avec confiance et sans nulle vergogne. Ils vont même attribuer à leur mauvaise conduite un caractère sacré. Dupe de ce vieux sophisme, le pauvre Verlaine offrira cyniquement à l’univers le spectacle de ses pires inconséquences ; et il offrira pieusement à Dieu les ennuis de toute espèce qui sont le résultat de sa débauche, de sa sainte débauche. C’est émouvant et comique ; c’est pathétique et absurde.

La sainte douleur, voilà du romantisme : et il en traîne encore dans notre littérature. Mais, la vraie douleur, c’est l’incomparable beauté des meilleurs poèmes de Musset. Récitons-nous le Souvenir.

En 1857, peu de jours avant sa mort, Musset compose son dernier poème :


L’heure de ma mort depuis dix-huit mois,
De tous les côtés sonne à mes oreilles… etc.


Le rythme est haletant. Il y a des reprises de souffle et il y a le lancinement d’une perpétuelle souffrance ; il y a des bonds de difficile volonté. Ce vers de dix syllabes, coupé en hémistiches de cinq pieds, a par lui-même une rapidité qui, ailleurs, donne des effets de légère allégresse et qui, en ce poème, sonne comme un glas. Ce sont des vers beaux et funèbres. Le poète n’a plus sa virtuosité ; il a encore son génie.

Comment n’admirerait-on pas et n’aimerait-on pas la grandeur, la fierté farouche, et voluptueuse et hautaine ensemble, de ce refus que le poète des Nuits a opposé à tout ce qui n’est pas le seul amour, gai ou triste, l’amour enfin ? Il a cru que l’amour seul valait de vivre ; il a voulu que l’amour suffît à occuper toute une âme, toute une destinée : paradoxe poignant, poétique erreur !


Musset, quand il commence à ne plus composer beaucoup de vers, écrit ses adorables comédies. Certes, il aime sa liberté ; or, aucun genre littéraire n’est plus contraint que le théâtre : mais lui, les contraintes du théâtre, il les néglige. Il écrit des comédies qu’on jouera ou ne jouera pas ; et il n’a pas subi la tyrannie urgente et misérable des tréteaux.

Le théâtre devait le tenter. Créer des personnages ; oui, on les crée à sa ressemblance : du moins, ceux qu’on préfère. N’importe ! créer des personnages, même à sa ressemblance, c’est encore, en quelque façon, sortir de soi. Et, — contre l’apparence, mais en toute