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révolutionnaires. Les employés travaillent ; et. qu’ils s’ennuient ou non, peu importe. Mais, libertins ou révolutionnaires, c’est tout un, même si les révolutionnaires sont chastes et si les libertins ne souhaitent pas de démolir la société : mécontens les uns et les autres et qui, au malaise de leur esprit, cherchent une diversion, les uns dans la fureur politique, les autres dans la fureur amoureuse. On appelait libertin, jadis, un incrédule. A présent, un libertin est un homme qui vit au gré de la sensualité. Ce passage de signification correspond à une vérité profonde : le libertinage de la pensée conduit au libertinage du cœur. « Remarques-tu une chose, Spark ? C’est que nous n’avons point d’état ; nous n’exerçons aucune profession !… » Le libertin, comme le révolutionnaire, est un sans-travail. Il a trop de loisir et court les rendez-vous galans comme l’autre les meetings bavards. Deux anarchistes ; et des théoriciens. Le libertin de Musset formule toute la théorie, une esthétique, une morale de la débauche : il prétend revêtir de beauté son inconduite et parer d’orgueil extraordinaire son avilissement. Ce Don Juan, c’est l’une des inventions les plus ridicules et brillantes du romantisme. Mais enfin, il a du génie, des vertus natives, et toutes les grâces de la jeunesse, toutes les ardeurs de l’âme, toutes les bravoures. De tout cela, il ne fait rien ; tout cela, il le gaspille. Qui donc est-il ? Le type idéalisé de ce vif adolescent qui a dans les veines le sang des grands soldats victorieux et qui parvint à l’âge d’homme quand l’épopée était finie. Il y eut, au XIXe siècle, dans la vie française, une époque de trop soudaine relâche. La frénésie qu’avait excitée la Révolution et que l’Empereur occupa, mena par tous les chemins du monde, par toutes les routes de l’orgueil et du plaisir militaire, cette allégresse dut faire halte. Imaginons un régiment joyeux, en course, à qui l’on commande de s’immobiliser : le mouvement qui le portait frémit encore en lui. Les garçons qui eurent vingt ans après la chute de l’Empereur, désœuvrés et fervens, conçurent comme leur idéal désespéré ce Don Juan, ce hautain gaspilleur de toutes énergies et puissances.

Don Juan, dans la Confession, c’est Octave. Brigitte aime Octave ; et Octave, Brigitte. Pour empêcher leur bonheur, il y a Octave. Est-il un méchant ? Non : un dépravé. Brigitte si douce et parfaite, il ne saurait la comprendre. Il est incapable d’entrer dans le secret d’une âme. Égoïste, il ne connaît qu’une âme, la sienne ; et, maladroit, il se prive du plaisir le meilleur : connaître une âme et l’aimer. Voici le châtiment réel et ironique de Don Juan : Don Juan ne connaît pas les femmes ! Don Juan ne sait pas aimer ; et voilà ce que M. Donnay ne