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Dans les crises suprêmes des gouvernemens, il se rencontre toujours un homme dont l’office est d’amener la débâcle. Cet homme est d’autant plus dangereux qu’il appartient au régime menacé, et que c’est en se targuant de son dévouement qu’il entraine les indécis et ceux qui ne demandent qu’un prétexte pour sortir de l’édifice branlant. Ce rôle fut rempli, on sait avec quel succès, en 1815 par Fouché. Ce fut Dréolle qui s’en acquitta en 1870, avec moins d’éclat, mais avec autant d’efficacité. Dréolle, journaliste médiocre, orateur nul, s’était avancé en se faisant un des bravi de plume que Rouher entretenait pour harceler ses ennemis. Cela l’avait conduit à la députation. On a vu avec quelle fougue il s’était associé à la déclaration de guerre. Depuis que l’affaire avait mal tourné, il essayait de se rattraper. A l’annonce de la défaite de Sedan, il avait tenu dans les couloirs les plus méchans propos : « Pourquoi n’est-il pas mort ? » Puis il avait propagé l’idée d’un Conseil de gouvernement, d’une dictature militaire. « Si Cavaignac existait encore, disait-il, j’irais le trouver. » Il rencontra une aide active en Kératry qui, par les mêmes raisons, était dans des dispositions analogues : prêt à tout pour se faire pardonner d’avoir défendu la guerre. Kératry avait associé à ses menées Dalmas, qui ne pardonnait pas à l’Impératrice de l’avoir exclu du cabinet de l’Empereur, en s’opposant à ce qu’il prît la succession de Mocquard, et qui assurait le concours d’une partie considérable du Centre gauche. Dréolle apportait celui de la Droite.

Tous trois, escortés de quelques naïfs ou trembleurs des diverses nuances de l’assemblée, se rendirent auprès de Schneider. Kératry réclama la convocation immédiate : « Cela n’offrait pas de difficultés pratiques ; la grande majorité des députés, anxieuse de nouvelles, se trouvant dans la salle des conférences et dans les couloirs. » Dréolle le soutint vivement : « Demain, il sera trop tard pour aviser : un gouvernement provisoire aura surgi en dehors du parlement, et le pays sera livré à d’effroyables aventures. » Jules Favre, Picard vinrent appuyer la demande. Schneider émit pour la forme quelques objections. Cette convocation de la Chambre était son désir intime : il se laissa convaincre. Il ne se croyait pas en droit, dit-il, d’éluder la volonté des mandataires de toutes les fractions de l’assemblée. Il prévint les ministres par des imprimés personnels, puis lança des lettres de convocation pour une séance de minuit.