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REVUE LITTÉRAIRE

ALFRED DE MUSSET[1]

« Comme j’allais avoir quinze ans… » Un collégien, grand et mince, au regard clair, « aux narines dilatées, aux lèvres vermillonnantes ; » les jours de sortie, il fréquente chez Victor Hugo, rencontre Vigny, les deux Deschamps, Mérimée, Sainte-Beuve ; il se familiarise avec la gloire ; il récite ses premiers vers, chansons d’un enfant déluré, chansons d’amour à tout hasard. « A l’âge où l’on croit à l’amour… » Un jeune homme élancé, très élégant de manières et de costume, à la tête blonde que les cheveux longs et bouclés encadrent ; il a quelque chose d’un peu italien dans les traits ; il a de la langueur, de la désinvolture et de l’impertinence, l’air de ne songer qu’à des femmes ; et, s’il daigne écrire, ses vers chantent divinement. « A l’âge où l’on est libertin… » Un soir, il arrive chez des amis ; il est très pâle, mal vêtu, un bas lui tombe par-dessus sa botte ; il regarde sa montre, obstinément : marche-t-elle ? Il faut qu’on écoute sa montre. Chez la princesse Mathilde, l’Empereur étant là, il a récité des vers. Quels vers ? Il cherche et ne se rappelle rien. Il est ivre. Parfois, il dompte cette ébriété presque continuelle : il parle ; il est merveilleux d’esprit, de chaleur éloquente. Il s’en va ; dans les maisons où on l’a vu gris, il ne revient pas.

Quel homme singulier ! L’amour a été l’unique affaire de sa vie. Il attendait l’amour ; il a aimé ; ensuite, regrettant l’amour, il a méprisé toute l’existence et, d’amertume, il a rendu la sienne méprisable. Les

  1. Alfred de Musset, par M. Maurice Donnay, 1 vol. in-16 ; Hachette.