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d’un mouvement viril. Jules Simon, Jules Favre, Picard pensaient de même et ils jugèrent l’action brutale encore prématurée. Ils ne trouvaient pas la succession bonne à recueillir ; la République arriverait beaucoup mieux une fois les Prussiens chassés. Ils étaient convaincus que des élections régulières, faites sous le coup des événemens, l’amèneraient infailliblement, et que, si l’assemblée était renversée par l’émeute, l’arrivée au pouvoir de Delescluze, du parti Blanqui était à redouter. Ils voulaient écarter l’action des foules parce qu’on ne sait jamais où elles s’arrêtent. Ils craignaient enfin la résistance du gouvernement et Palikao leur inspirait encore de la terreur. Quelque débile que parût le ministère, ils ne le soupçonnaient pas capable de tomber au degré d’anéantissement où il allait arriver ; pas un ne supposait qu’on leur livrerait la place sans combat, et ils savaient bien que, dès qu’il y aurait un combat, ils seraient écrasés. Par prudence donc, ils voulaient obtenir la révolution de la Chambre, de façon que, abrités derrière elle, ils eussent le succès sans le péril.

Ils arrêtèrent le plan suivant : On proposerait la déchéance de l’Empereur et la prise du pouvoir par le Corps législatif ; une Commission exécutive serait nommée par la Chambre, et elle ne se montrerait pas exigeante sur les choix ; aucun membre de la Gauche n’y entrerait. On y placerait Schneider et Thiers, si on l’y décidait ; on y conserverait Palikao ; on y ajouterait un ou deux membres de la majorité, et on constituerait ainsi « une sorte de gouvernement provisoire qui aurait l’avantage de ne pas rompre complètement le lien avec le passé et de continuer l’ordre légal. » Les révolutionnaires, tardivement avertis de la défaite de Sedan, n’étaient pas encore prêts. Ils n’avaient pas eu le temps de donner le mot d’ordre ; l’agitation qu’ils avaient essayée dans la soirée avait avorté. Sur le boulevard, sous les fenêtres de Trochu, quelques milliers d’individus avaient, sans succès, hurlé : « La déchéance ! Vive la République ! » ils n’avaient réussi à entraîner ni la multitude ni Trochu. Il fallait les devancer et brusquer la solution avant que ces braillards ne se missent en route vers le Corps législatif. Personne ne s’attendait à une séance de nuit : il fallait la convoquer. Les mesures décisives y seraient adoptées et, le lendemain au jour, Paris se réveillerait sous un nouveau gouvernement installé et armé.