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Schneider, au contraire, voulait agir. Esprit sagace, il voyait, comme les ministres, que le pouvoir de la Régente, frappé à mort, n’était plus défendable. Mais il pensait que la prise de possession de ce pouvoir par la Chambre résoudrait de graves difficultés et il souhaitait, afin de mettre tout le monde à l’aise, que la dépossession inévitable de l’Impératrice s’opérât de son consentement et qu’on conservât une apparence de régence impériale. Un message de la Régente à la Chambre élective aurait dit : « Depuis le départ de l’Empereur, je gouverne en vertu de pouvoirs limités et délégués. Ces pouvoirs sont devenus insuffisans pour faire face aux nécessités de la situation. Je ne puis en demander le complément à l’Empereur, qui a cessé d’être libre, ni au pays, auquel il est impossible de faire appel au milieu de la crise terrible que nous traversons. En conséquence, je remets au Corps législatif, qui est l’émanation la plus directe du suffrage universel, l’exercice du pouvoir exécutif, en l’invitant à constituer une Commission de gouvernement. Dès que cela sera possible, le pays sera consulté. »

Pendant une courte interruption du Conseil, Schneider avait indiqué à l’Impératrice ce remède extrême sans y insister cependant, car il ne lui parut pas du goût de celle qui l’entendait. Rentré à la présidence, quoiqu’il eût participé à la délibération du Conseil des ministres qui fixait la séance du Corps législatif le lendemain à midi, il se demanda s’il n’encourrait pas une responsabilité sérieuse en différant un seul instant d’instruire l’assemblée du fait désastreux dont il venait d’avoir la certitude officielle ? En attendant que ses anxiétés aboutissent à une résolution, il ordonna, à tout événement, de préparer des lettres de convocation sans désigner l’heure.

De leur côté, les députés de la Gauche et du Centre gauche se réunirent dans un bureau de la Chambre et ne tardèrent pas à se mettre d’accord. Kératry, qui avait poussé à la guerre et en était au désespoir, essayait de se le faire pardonner par l’excès de son langage et de ses propositions. Il demanda ouvertement la proclamation de la République et le jour même offrit au général Le Flô le ministère de la Guerre dans le nouveau gouvernement. « Si l’Impératrice, dit-il, ne veut pas reconnaître que Napoléon III est désormais impossible, il faudra agir les armes à la main. » Grévy se récria : à ses yeux, la population honnête de Paris, efféminée par l’Empire, n’était pas capable