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instructions à Paris ; elles lui arrivèrent fort tard, mais heureusement concordaient avec la ligne de conduite qu’il s’était fixée : traiter Mme Bonaparte avec courtoisie et considération, lui faire des visites et la recevoir, mais ne la considérer jamais que comme Mlle Patterson.

Les circonstances politiques rendirent orageux le premier hiver qu’elle passa à Washington, celui de 1810 à 1811. C’était le moment où se discutait la question de savoir si les Etats-Unis feraient ou non la guerre à l’Angleterre. Deux courans, l’un favorable à cette puissance, l’autre à la France, se partageaient le pays comme la société de Washington elle-même : La famille d’Elisabeth Patterson se trouva amenée à prendre parti, par suite de sa parenté avec le secrétaire d’État à la Guerre, Smith. Eloigné du Cabinet en 1810 par le président Madison, lui et son frère, le général Smith, se jetèrent dans une opposition violente contre la politique, a tendances françaises, du Gouvernement et se rapprochèrent naturellement du ministre d’Angleterre, M. Foster-M. Foster était jeune et aimable : la famille d’Elisabeth Patterson persuada à celle-ci qu’elle devrait le recevoir, parce que les femmes étaient considérées comme neutres en affaires d’Etat. Elle se rendit à cet avis, si bien qu’en présence des visites répétées de Foster chez elle, Sérurier jugea bon de diminuer le nombre des siennes, laissant entendre que la neutralité ne convenait pas à une personne dans la situation d’Elisabeth. Comme, d’autre part, il donnait des fêtes pour le parti guerrier, c’est-à-dire les amis de la France, Foster, qui semblait s’être fait une loi d’imiter toujours son collègue français en matière de représentation, organisa une fête, lui aussi, et y invita naturellement Elisabeth. Il voulait à la fois orner cette réunion par la présence de la femme la plus belle et la plus célèbre d’Amérique, et compromettre au profit de l’Angleterre une personne qui « continuait à mettre sa gloire à porter un nom si illustre et si français. »

Sérurier fort contrarié lit dire à Elisabeth par une dame de son intimité qu’il ne pouvait penser qu’elle tomberait dans un piège aussi grossier ; que paraître ainsi chez le ministre d’Angleterre serait donner de puissantes armes à ses ennemis, si elle en avait ; et qu’un pareil éclat ne permettrait plus à lui, Sérurier, de se montrer chez elle. Elle voulut bien se dire reconnaissante de l’avis, et ne se rendit pas chez M. Foster.